Au coeur de l'Autre bord du lac - 1943

Au coeur de l'Autre bord du lac - 1943
Source: BAnQ - détail d'une carte postale 1943 - numérisation Gaston Gravel

dimanche 13 décembre 2015

La brouette

Ceci n'est pas une brouette !  Du moins, ce n'est pas une brouette ordinaire.


Photo :  Céline Jutras 2015


Elle a été construite par mon grand-père Albert Jutras dans le milieu des années '30.  La boîte est en bois dur.  Elle a été assemblée à la main avec des tiges d'acier transversales.  Les essieux, le cadrage et le guidon ont été fabriqués avec des tuyaux de fer moulés dans l'ancienne fonderie de la rue Saint-Louis, les mêmes tuyaux qui servaient à faire des clôtures l'Autre bord du lac.



Photo :  Michel Jutras 2014


Albert Jutras avec la brouette qu'il a fabriquée au milieu des années '30
Photo :  Lucien Jutras, vers 1950


Au début, elle était chargée de petit bois que mon père rapportait du lac Abattoir pour allumer le poêle de la maison et chauffer le box stove à la cave.

Elle servait aussi à transporter des blocs de ciment, du sable et de la roche.  En fait, elle servait à tout et tout le temps mais c'était avant l'arrivée de la société des loisirs !

Pour nous, les ti-culs de la rue Saint-Augustin, ce n'était pas une brouette mais quelque chose entre le tricycle et la boîte-à-savon.  Le truc, c'était de descendre l'entrée de la cour du 372 Saint-Augustin, de virer à gauche sur deux roues, de prendre de la vitesse devant chez Dicaire et de négocier la courbe finale tout en restant sur le trottoir... et sur la brouette.  Les plus téméraires plaçaient un flyman dans la rue, descendaient la cour asphaltée avec un allant, prenaient le virage au milieu de la rue, se penchaient sur le guidon pour couper le vent et tournaient en chirant sur la rue de la Plage.  

Il y avait deux façons de chevaucher la brouette.   La première,  à califourchon, les deux pattes de chaque côté pour freiner au besoin.  La deuxième, pour les plus game, un genou dans la brouette et l'autre pied en dehors pour pousser...

Le pire c'est quand il y avait du sable dans la courbe finale au coin Saint-Augustin et de la Plage.   


Google - street view


Photo :  Michel Jutras 2014





lundi 28 septembre 2015

Armand et Tyler

ARMAND


En 1931, Armand décida d'aller voir son père pour lui présenter sa femme.  Il partit donc de Beverly  au Massachusetts où il s'était établi avec son épouse et conduisit jusqu'à La Tuque.  Il avait 22 ans.  Il entra dans la ville par la rue Commerciale, tourna à droite sur Saint-Joseph puis, sur sa gauche, il descendit la côte Saint-Louis, tourna sur la rue du Lac et remonta sur Saint-Augustin jusqu'à la maison de son père.

Albert Jutras, mon grand-père, se berçait sur la galerie.  Il avait 49 ans.


La maison de la rue Saint-Augustin vers 1940
Source:  archives familiales Michel Jutras

Armand s'arrêta devant la maison.  Il regarda son père dans sa balançoire vert forêt et dit à sa femme:  "Regarde, c'est mon père qui est là"...  et il repartit.

Mon grand-père a dû voir cette automobile s'arrêter devant sa maison.  Il devait fumer sa pipe en se demandant :  "Qui c'est qui s'arrête devant chez-nous?"

Que serait-il arrivé si Armand était débarqué.  S'il avait dit à mon grand-père:  "Je suis Armand Jutras, votre fils."


Armand est né le 25 octobre 1909 sur la rue Laurier à Asbestos.  


Une partie de la rue Laurier à Asbestos vers 1910
Source:  www.collectionscanada.gc.ca

Il était le fils d’Albert Jutras et de Marie Houle. 


De gauche à droite:  Albert Jutras, son deuxième fils Fernando
sa femme Marie Houle et son père Eugène Jutras
vers 1907
Source:  archives familiales Michel Jutras

Marie Houle, la mère d'Armand, mourut le 8 février 1911 à l’âge de 28 ans, quelques jours seulement après avoir donné naissance à une petite fille, Marguerite.  Au décès de sa femme, mon grand-père est âgé de 28 ans, il travaille comme journalier.  Il n'est pas riche.  Il reste seul avec ses quatre enfants dont un bébé naissant.  Albert prend donc des décisions difficiles.  Il garde avec lui Fernando son plus vieux qui a cinq ans et se résigne à donner les trois autres.    Germaine, qui n'a pas encore trois ans, s'en ira dans la famille d'Amédée Ménard et de sa femme Anna.  Marguerite, qui vient de naître, sera confiée à Arthur Lafrance et à sa femme Emma.  Armand, qui n'a que seize mois, sera adopté par   Donat Barbeau et sa femme Lauria.  Toutes ces familles vivent à Asbestos.  

Le 18 janvier 1916, à Saint-Zéphirin-de-Courval, Albert Jutras se remarie avec Exavérina Fréchette (sa deuxième épouse).  Ce sera l'occasion de réunir une dernière fois ses quatre enfants vivants nés de son premier mariage.  Une photo retrouvée chez les Fréchette en témoigne, on y voit Marguerite, Armand (qui a 7 ans), Germaine et Fernando.


De gauche à droite:  Marguerite, Armand, Germaine et Fernando
Janvier 1916
Source:  archives familiales Exavérina Fréchette

Monsieur Barbeau, le père adoptif d'Armand, mineur à Asbestos,  décide, comme beaucoup de canadiens-français à l'époque, d'aller travailler aux États-Unis.  Donat Barbeau, sa femme et  leur fils adoptif, Armand Jutras, vont donc émigrer définitivement aux États-Unis au printemps 1921.  

Les Barbeau s'établiront à Salem au Massachusetts.  Lors du recensement de 1930, Donat Barbeau est âgé de 53 ans, sa femme Lauria a 45 ans et Armand, que le recenseur inscrit sous le nom de Armand J. Barbeau, a 20 ans.  Donat Barbeau déclare qu’il est né dans l’état de New York en 1877, ce qui n’est pas impossible vu la grande migration des canadiens-français dans les états de la Nouvelle-Angleterre dans le dernier quart du 19e siècle.  D'ailleurs, son père Antime Barbeau, est inhumé au cimetière St. Mary à Salem.



Plaque funéraire au St. Mary Cemetery à Salem
Delphine était le deuxième épouse d'Antime Barbeau
La mère de Donat Barbeau, Lucie Faubert est décédée en 1881
Source:  www.findagrave.com


En 1923, Armand fera parvenir à son père une carte-photo de lui lors de sa communion solennelle où il a inscrit quelques mots à l'intention de son père.


Armand Jutras
1923
Source:  archives familiales Michel Jutras

Source:  archives familiales Michel Jutras


Ma mère m’a dit qu'Albert recevait toujours des cartes de Noël de son fils Armand et qu’à chaque fois, il se demandait bien ce qu’il était arrivé à Armand aux États-Unis.  Puis, Albert a cessé de recevoir de ses nouvelles.

Lors du recensement américain de 1930, Armand vit toujours avec ses parents adoptifs à Salem.  Le 20 décembre de la même année, il se marie avec Dorothea Burridge.  


Armand Jutras et son épouse Dorothea Burridge
Source:  archives familiales Tyler Jutras

Armand Jutras est embauché à la United Shoe Machinery Co. de Beverly dès l'âge de vingt ans.  Il y restera plus de 35 ans.  La USMC a compté jusqu'à 4000 employés et était considérée, à l'époque, comme la plus grande manufacture au monde.  

    
United Shoe Machinery Co. à Beverly au Massachusetts - 1916 - Studio Notman Co.
Source:  Library of Congress

Entre 1930 et 1940, Armand et Dorothea, qui se sont installés à Beverly, auront trois fils:  Armand Jr,  Robert E. et Richard.


Les trois fils d'Armand Jutras vers la fin des années '30
De gauche à droite:  Richard, Robert E. et Armand Jr
À l'arrière, sa mère adoptive Lauria Barbeau et son épouse Dorothea Burridge
Source:  archives familiales Tyler Jutras


Armand Jutras est décédé en décembre 1964, quatre ans avant la mort de son père, Albert Jutras.


Armand et sa femme, Dorothea, sont enterrés au cimetière Waterside de Marblehead (Essex County) dans le Massachusetts.  Leurs trois fils sont vivants. 



Waterside cemetery, Marblehead Essex County, Massachusetts
Source:  www.findagrave.com




Armand Jutras 1951
Cannon Montain, New Hampshire
Source:  archives familiales Tyler Jutras


TYLER

Tyler Jutras est né aux aux États-Unis et vit dans le Massachusetts.  Il a 31 ans.  C'est mon petit-petit-demi-cousin.  Il est le fils de Robert M. Jutras.  Son grand-père est Robert E. Jutras, le fils d'Armand Jutras.  Armand est donc son arrière-grand-père et Albert Jutras, mon grand-père, son arrière-arrière-grand-père.

Au début de 2015, Tyler découvre mon blogue L'Autre bord du lac et le voile commence à se lever sur l'histoire et l'origine de son nom.  Pendant des mois, nous nous sommes échangés des photos et des documents sur Armand Jutras et sa famille américaine.  Finalement, nous avons convenu de nous rencontrer à La Tuque.

Le 6 septembre 2015, Tyler et son amie Jaclyn ont refait le même voyage qu'Armand Jutras avait fait en 1931 avec sa femme.   Comme lui, il est parti de Beverly au Massachusetts et il a conduit jusqu'à La Tuque.    Il est entré dans la ville par la rue Commerciale, il a tourné à droite sur Saint-Joseph puis, sur sa gauche, il a descendu la côte Saint-Louis, tourné sur la rue de la Plage, qui avait changé de nom depuis, et remonté Saint-Augustin jusqu'à la maison de mon père. 

Comme Albert Jutras, mon grand-père, je me berçais sur la galerie dans sa chaise vert fôret.

Tyler arrêta sa voiture.  Il nous a regardés et a sans doute dit à son amie:  "C'est Michel et Jacques Jutras qui sont sur la galerie"...  et il est débarqué. 




On a fait le tour de la maison... tu vois Tyler, c'est ici que mon grand-père dormait... tu vois le trait de scie au plafond de la cuisine, c'est là qu'il pensait d'abord faire passer la cheminée mais il a changé d'idée... regarde Tyler, c'est sur cette poutre que mon grand-père collait les gommes d'épinette qu'il mâchait... viens voir, de la fenêtre de ma chambre, on voit le lac Saint-Louis et au loin, la côte de ski...  




Puis, nous sommes allés faire le tour du p'tit lac et le tour du carré, empruntant les rues de la Plage, Saint-Paul, Saint-Michel et Saint-Augustin.  Finalement, en voiture nous sommes montés au chalet du lac Brochet.  Tu vois ce godendart accroché au mur au-dessus de la fenêtre, c'est celui de mon grand-père... 




Ce fut comme ça pendant tout l'après-midi... que du bonheur d'être ensemble.  Puis le temps de partir est arrivé.  "Vous viendrez à Bervely, ce n'est pas si loin que ça...  Ce serait bien qu'on se revoit un jour...".



De gauche à droite, Jaclyn Lee, Jacques Jutras, Tyler Jutras et moi
6 septembre 2015
sur la galerie de la maison familiale, rue Saint-Augustin

Sur le trottoir, Tyler m'a fait une première accolade comme pour me dire "au revoir"... puis une deuxième, plus longue, comme pour me dire "adieu"...

Merci Tyler.


samedi 12 septembre 2015

Les Boutet

Lors du recensement en 1921,  David Boutet (36 ans) habite au 36 rue Saint-Honoré (aujourd'hui le 346) avec sa femme Emma Fiset (33 ans) et leurs trois fils:  Liboire qui a 5 ans, Léo qui en a 3 et Jean-Laurent qui est âgé d'un an à peine.   David Boutet est propriétaire de sa maison et déclare qu'il est foreman à la Brown.


La petite maison bleue du 36 rue Saint-Honoré (aujourd'hui le 346)
Source:  Google Maps

David Boutet et Emma Fiset auront d'autres enfants après le recensement de 1921:  Albert, Wellie, Léonie et Laurence.

Trois des enfants de David et Emma Boutet habiteront l'Autre bord du lac:  Léo, Jean-Laurent et Léonie.

Léo se mariera avec Rita Patry et ils auront cinq enfants:  Andrée, Alain, Joanne, Manon et Lyne.  La  famille s'établira au 359 de la rue Saint-Augustin.

Son fils Alain, qui était mon ami, avait un arc en fibre de verre de 20 livres de pression avec laquelle nous pouvions, à tour de rôle, tirer nos flèches jusque dans la porte en bois de l'école Saint-Michel sur la butte du même nom.  À partir de l'avant de la maison des Boutet sur la rue Saint-Augustin, ce qui fait très exactement 170 mètres... ÉNORME... pour un arc à 20 livres de pression et une capacité à évaluer le danger de tuer quelqu'un à peu près nulle !


La maison de la famille de Léo Boutet
au 359 rue Saint-Augustin

Détail d'une photo de l'école Saint-Michel
prise par Louise lelou Houde en 1969
déjà publiée sur la page Je viens de... I come from La Tuque


170 mètres...
Source:  Google Maps

Léonie, quant à elle, se mariera avec Charles-Henri Jean et ils auront trois enfants:  Denis, Michel et Ginette.  Ils habiteront une grande maison au 284 de la rue Saint-Michel.

Source:  Google Maps

Charles-Henri Jean
Source:  L'Écho de La Tuque et Haut-Saint-Maurice
Michel était aussi mon copain.  Il était blond comme ce n'est pas possible, ce qui lui avait valu de personnifier le petit Saint-Jean-Baptiste dans la parade du 24 juin 1961, l'année même du cinquantième anniversaire de la ville alors que moi, avec mes cheveux roux...

Son grand-père, David Boutet, avait un chalet au lac Brochet où mes parents et ceux de Jean-Jacqui avaient aussi le leur.  Tous les étés, Michel Jean, Jean-Jacqui Boutet, Daniel Trépanier et moi, nous nous retrouvions sur le quai du chalet des Boutet pour y pêcher des barbottes incroyables.

Chalet d'Aurèle Auger, voisin de celui de David Boutet
 et de celui de Jean-Laurent Boutet
Source:  archives Michel Jutras
Jean-Laurent se mariera avec Irène Boivin, ils habiteront la maison paternelle de la rue Saint-Honoré et auront ensemble un fils, Jean-Jacqui, et adopteront un garçon du nom de Claude Boivin.

Jean-Jacqui, qui était un peu plus jeune que moi mais dont l'énergie compensait largement ses quelques années en moins, était le seul gars du coin à pouvoir replier complètement son pouce contre son poignet, ce qui nous impressionnait bien sûr mais fascinait encore plus les filles du quartier.

Pendant toutes ces années, sans que nous le sachions, se développait chez Jean-Jacqui un talent de comédien hors du commun.

Jean-Jacqui Boutet
Source:  www.ectq.com

Jean-Jacqui est entré au conservatoire d'art dramatique de Québec en septembre 1973.  Aussitôt diplômé, il fonde avec ses amis le théâtre de la Bordée à Québec.  Jean-Jacqui a fait 31 mises en scène et joué au-delà de 125 rôles au théâtre, notamment Falstaff, Le malade imaginaire, Léopold dans À toi pour toujours ta Marie-Lou, Aimable dans La femme du boulanger et bien d'autres.  Il reçoit le Prix Paul-Hébert en 1987 et le Prix des abonnés du Trident en 1991.   En 2011, il jouait au Centre national des Arts à Ottawa, dans la pièce de Wajdi Mouawad, «TEMPS›.



Même si nous restions sur des rues différentes, nous nous rencontrions toujours au pied de la côte Saint-Michel quand venait le temps de former les équipes de softball après souper.  Ça descendait des  rues Saint-Honoré, Saint-Paul, Saint-Michel et Brown, ça arrivait des rues Saint-Augustin et Saint-Louis et finalement, nous étions assez nombreux, en incluant les filles, pour faire deux équipes.  Nous avions de vieilles balles de softball récupérées au stade de la rue Desbiens et des battes que nos pères avaient taillées dans des épinettes grosses comme le bras... de vraies mailloches !







dimanche 9 août 2015

Monsieur Fafa

Ce vieux monsieur que mon père, encore enfant, appelait gentiment le bonhomme Fafa, cultivait un lopin de terre entre les rues Saint-Louis et Saint-Augustin, au sud de la maison des Dicaire et à l'arrière de la sienne.  

Détail d'une carte postale - 1943
Source:  BAnQ

Josaphat Provost est né à Saint-Théodore-d'Acton en 1873.  En 1912, il est à La Tuque puisque le curé Eugène Corbeil bénit son union à Marie-Jeanne Lambert à l'église Saint-Zéphirin.


Josaphat Provost et Marie-Jeanne Lambert
le jour de leur mariage
Source:  www.ancestry.ca

En 1921, lors du recensement, Josaphat habite au 57 rue Saint-Louis (aujourd'hui le 385) avec sa femme Marie-Jeanne, sa fille Anna qui a 7 ans et son fils Désiré âgé de 5 ans.  Josaphat et Marie-Jeanne ont respectivement 49 et 43 ans à ce moment.  Josaphat est propriétaire de sa maison et il habite le deuxième étage.  Il loue le rez-de-chaussée à un dénommé Marchand qui y demeure avec sa femme et ses quatre enfants.  Josaphat déclare en 1921 qu'il est journalier, probablement à la Brown, mais sur l'acte de naissance de sa fille Anna en 1913 et sur celui de son garçon Désiré en 1915, le prêtre avait inscrit qu'il était industriel.

Dans son autobiographie, Gabriel Dicaire évoque sa jeunesse sur la rue Saint-Augustin où il décrit son voisinage immédiat.

Gabriel Dicaire, debout à droite
1938
Photo tirée de son autobiographie, Les chemins de ma vie, à compte d'auteur

Je le cite:  "Notre voisin le plus original était sans contredit le bonhomme Fafa, comme nous l'appelions.  Josaphat possédait, en face de notre cour, un grand champ pour la culture de ses légumes.  Il possédait aussi deux vaches.  Nous lui achetions deux pintes de lait chaque jour, à dix cents la pinte.  Il était toujours mal atriqué.  Maman se moquait de lui parce qu'il attachait ses culottes avec des grosses épingles à ressort.  Jamais de boutons.  Il n'a jamais travaillé ailleurs que sur son lopin de terre (dans les souvenirs de Gabriel).  Sa femme, toute menue et presque toujours malade, était la bonté même.  Ils étaient pauvres mais pas miséreux.  On aimait beaucoup Anna, leur fille infirmière, belle et intelligente, qui soignait nos bobos.     Les chemins de ma vie, Gabriel Dicaire (à compte d'auteur).

Sur la photographie qui suit, nous voyons que le potager de monsieur Fafa est clôturé, je dirais presque palissadé, du côté de la maison des Dicaire et le long de la rue Saint-Augustin et dans la cour-arrière de sa maison, on aperçoit l'espèce de shed à deux étages où il gardait ses deux vaches dans la partie basse.  Accrochés au treillis de la clôture séparant sa cour-arrière de son potager, des concombres sauvages poussaient abondamment.


Détail d'une carte postale - 1943
Source:  BAnQ


La maison de Josaphat Provost
sur la rue Saint-Louis
Il habitait le premier étage avec sa famille et louait le rez-de-chaussée
Photo:  Michel Jutras 2014

Les souvenirs que Gabriel Dicaire conserve de monsieur Fafa datent probablement du début des années '40.  À ce moment, Josaphat Provost a près de 70 ans et il ne travaille désormais que dans son jardin.  Il s'occupera de son potager jusqu'à son décès en 1950.

À la fin des années '50, je me souviens vaguement d'un homme qui piochait dans le même jardin et qui avait encore une vache dans une espèce d'appentis à l'arrière de la petite épicerie au coin des rues Saint-Augustin et de la Plage mais ce n'était pas monsieur Fafa... ou peut-être que oui... qui sait !

Puis le potager a été abandonné et rapidement ce lopin de terre est devenu le champ de la rue Saint-Augustin où poussaient les herbes hautes, les chardons et les pissenlits géants.  C'est en piquant à travers ce champ que dorénavant nous pouvions rejoindre la rue Saint-Louis en passant entre les maisons bordant celle-ci.

Entre les rues Saint-Augustin et Saint-Louis, donnant sur la rue de la Plage,  il y avait aussi une petite maison d'un seul étage avec un toit légèrement en pente qui ressemblait davantage à une shed qu'à une habitation.  Une famille y vivait dans des conditions d'immense pauvreté.   Quand cette maison fut abandonnée par ses occupants, nous allions y fouiner mes amis et moi jusqu'au jour où elle fut démolie.  C'est en partie sur ce terrain que fut construite quelques années plus tard la maison d'Armand Lortie.


Détail d'une carte postale - 1943
Source:  BAnQ

Un peu en retrait de la maison des Dicaire, au nord de celle-ci, on aperçoit la petite shed où mon grand-père, Albert Jutras, gardait lui aussi une vache dont il tirait le lait pour les besoins de sa famille.  Entre 1910 et 1950, nombreux étaient les habitants de l'Autre bord du lac qui avaient une ou deux vaches sur leur terrain et parfois un cochon.



samedi 18 juillet 2015

Les bleuets

"M'man, j'vas aux bleuets avec mon ami Jacques."

"Où ça ?"

"Au lac Abattoir".

"OK, r'venez pas trop tard".

Avec notre chaudière de graisse Crisco de 5 livres, nous partions heureux pour aller aux bleuets.



Photo:  Archives La Presse

Nous les ramassions à la main pour remplir d'abord notre videux, souvent une petite canisse, parfois une vieille tasse en granit.  Lorsqu'il était plein, nous le vidions dans notre chaudière en tôle, d'où son nom de videux !


Photo:  www.bmccanada.com

Nos mères n'aimaient pas beaucoup les ramassages malpropres ce qui voulait dire qu'il ne devait pas y avoir de feuilles ou de bleuets pas mûrs dans notre chaudière.  C'était souvent pour cette raison qu'elles n'aimaient pas acheter ceux cueillis avec des peignes au Lac Saint-Jean.



Peigne à bleuets - circa 1900
Source:  Musée de la civilisation

Source:  www.bmccanada.com

Nos talles de bleuets préférées étaient celles du lac Abattoir.

Photo:  André Mercier
Affichage original sur La Tuque, des gens, des lieux, des époques

Certains de mes amis de l'autre bord de la track allaient à la côte de ski ou au terrain d'aviation mais c'était trop loin pour nous.  Le lac Abattoir nous convenait parfaitement et nous ne risquions pas d'y rencontrer un ours, ce qui n'est pas un détail anodin...


Source:  L'Écho de La Tuque

Sur le chemin du retour, il n'était pas rare que des mères de famille sortaient sur la galerie avant de leur maison pour nous demander si nos bleuets étaient à vendre... 25 cents pour ta chaudière !  Nous résistions à ces offres, trop contents de faire plaisir d'abord aux nôtres.


L'an dernier, le panier de 11 livres de bleuets sauvages du Lac Saint-Jean se vendait 75$ au marché Jean-Talon !






dimanche 28 juin 2015

Le château branlant



Le château branlant de l'Autre bord du lac était une maison carrée, à trois étages, dont le logement du rez-de-chaussée avait son entrée sur la rue Saint-Paul et les deux autres, soit les premier et deuxième paliers, avaient les leurs sur la rue Saint-Michel. Pourquoi l'appelait-on comme ça ? Bonne question !


Coin des rues Saint-Augustin et Saint-Michel vers 1913
Encerclé:  le château branlant au coin de la rue Saint-Paul
Source:  Histoire de La Tuque à travers ses maires
Lucien Filion, Éditions du Bien public, 1977


Mon père, Lucien Jutras, m'en parlait de temps en temps. "Oui, c'est ça, le château branlant... c'est comme ça qu'on l'appelait." Et pourquoi vous disiez le château branlant que je lui dis. "Mais parce qu'il branlait, voyons! Il branlait tellement qu'il bougeait de 18 pouces au troisième étage quand il faisait tempête et il craquait de partout que s'en était épeurant! Le château branlant, ben oui... On le voyait très bien de la galerie avant de notre maison parce qu'il avait trois étages."

Le plus célèbre château branlant est sans aucun doute celui de Rennes, en amont du pont Saint-Martin. Une bâtisse du 17e siècle qui s'est effondrée le soir du 17 août 1936. 


Le célèbre Château-Branlant de Rennes
surnommé la maison de Cadet Rousselle
Source:  www.delcampe.net

On en disait ceci: "Des craquements avertisseurs avaient fait fuir depuis plusieurs jours ses derniers habitants, des clochards". Une centaine de personnes assistèrent à l'inclinaison progressive du "château", accompagnée de craquements et à son écroulement à 20h30, lequel était prévisible." Son nom de château branlant lui fut donné par les Rennais en raison de sa structure comportant quelques désordres. Ce haut bâtiment de quatre niveaux plus les combles avaient trois étages remarquables comportant des loggias avec balustres, qui lui ont fait donner par certains le nom de maison de Cadet Rousselle, par référence à la chanson populaire "Cadet Rousselle".   Source: Wikipedia


Cadet Rousselle a trois maisons (bis)

Qui n'ont ni poutres, ni chevrons (bis)

C'est pour loger les hirondelles,

Que direz-vous d'Cadet Rousselle ?
Ah ! Ah ! Ah ! oui vraiment,
Cadet Rousselle est bon enfant.


Peut-être que les enfants de l'Autre bord du lac, inspirés par la chanson "Cadet Rousselle" que leurs parents chantaient déjà avant eux, ont donné le nom de château branlant à cette maison de la rue Saint-Michel. 



Vue du château branlant de La Tuque
Photo non datée mais possiblement vers 1915
Source:  BAnQ - collection Magella Bureau


Dans l'ancienne numérotation, les trois logements du château branlant portaient les numéros civiques 33 et 35 sur la rue Saint-Michel et le numéro 35 rue Saint-Paul. Si le château branlant n'avait pas été détruit, ces numéros correspondraient aujourd'hui au 293 et 295 rue Saint-Michel et 363 rue Saint-Paul.


Source:  The Brown Bulletin, décembre 1922

Lors du recensement de 1921, le 33 rue Saint-Michel est occupé par Louis Binet (34 ans) et sa femme Lucia (28 ans). Ils ont quatre filles: Jean-d'Arc, Rose-Aimée, Blanche et Marie-Anna. 

Curieusement, le recenseur n'inscrit aucune personne pour les numéros civiques 35 rue Saint-Michel et le 35 rue Saint-Paul. Le château branlant branlait-il déjà trop pour être occupé sur tous les étages ?


Vers 1929
Source:  Appartenance Mauricie et SHLT

Par contre, certains Latuquois se souviennent qu'une famille Bourassa habitait au deuxième et qu'un monsieur Durand a occupé le rez-de-chaussée (presqu'un sous-sol) avec sa famille et que ce monsieur était chauffeur de taxi à La Tuque.


Quoiqu'il en soit, le château branlant de la rue Saint-Michel et souvent ses occupants étaient l'objet de quolibets et de remarques propres aux enfants des quartiers ouvriers envers ceux et celles encore plus miséreux qu'eux-mêmes.


Source:  Centre interuniversitaire d'études québécoises (CIEQ)
Photo datée 1935


Détail d'une carte postale - 1943
Source:  BAnQ


Plan de 1955
Encerclé en rouge:  le château branlant
Source:  BAnQ

Le château branlant est disparu du paysage de l'Autre bord du lac à la fin des années '50 et rien n'y a été construit depuis...



Terrain vague où était construit le château branlant
coin des rues Saint-Michel et Saint-Paul
Photo:  Michel Jutras - 2015