Au coeur de l'Autre bord du lac - 1943

Au coeur de l'Autre bord du lac - 1943
Source: BAnQ - détail d'une carte postale 1943 - numérisation Gaston Gravel

lundi 28 septembre 2015

Armand et Tyler

ARMAND


En 1931, Armand décida d'aller voir son père pour lui présenter sa femme.  Il partit donc de Beverly  au Massachusetts où il s'était établi avec son épouse et conduisit jusqu'à La Tuque.  Il avait 22 ans.  Il entra dans la ville par la rue Commerciale, tourna à droite sur Saint-Joseph puis, sur sa gauche, il descendit la côte Saint-Louis, tourna sur la rue du Lac et remonta sur Saint-Augustin jusqu'à la maison de son père.

Albert Jutras, mon grand-père, se berçait sur la galerie.  Il avait 49 ans.


La maison de la rue Saint-Augustin vers 1940
Source:  archives familiales Michel Jutras

Armand s'arrêta devant la maison.  Il regarda son père dans sa balançoire vert forêt et dit à sa femme:  "Regarde, c'est mon père qui est là"...  et il repartit.

Mon grand-père a dû voir cette automobile s'arrêter devant sa maison.  Il devait fumer sa pipe en se demandant :  "Qui c'est qui s'arrête devant chez-nous?"

Que serait-il arrivé si Armand était débarqué.  S'il avait dit à mon grand-père:  "Je suis Armand Jutras, votre fils."


Armand est né le 25 octobre 1909 sur la rue Laurier à Asbestos.  


Une partie de la rue Laurier à Asbestos vers 1910
Source:  www.collectionscanada.gc.ca

Il était le fils d’Albert Jutras et de Marie Houle. 


De gauche à droite:  Albert Jutras, son deuxième fils Fernando
sa femme Marie Houle et son père Eugène Jutras
vers 1907
Source:  archives familiales Michel Jutras

Marie Houle, la mère d'Armand, mourut le 8 février 1911 à l’âge de 28 ans, quelques jours seulement après avoir donné naissance à une petite fille, Marguerite.  Au décès de sa femme, mon grand-père est âgé de 28 ans, il travaille comme journalier.  Il n'est pas riche.  Il reste seul avec ses quatre enfants dont un bébé naissant.  Albert prend donc des décisions difficiles.  Il garde avec lui Fernando son plus vieux qui a cinq ans et se résigne à donner les trois autres.    Germaine, qui n'a pas encore trois ans, s'en ira dans la famille d'Amédée Ménard et de sa femme Anna.  Marguerite, qui vient de naître, sera confiée à Arthur Lafrance et à sa femme Emma.  Armand, qui n'a que seize mois, sera adopté par   Donat Barbeau et sa femme Lauria.  Toutes ces familles vivent à Asbestos.  

Le 18 janvier 1916, à Saint-Zéphirin-de-Courval, Albert Jutras se remarie avec Exavérina Fréchette (sa deuxième épouse).  Ce sera l'occasion de réunir une dernière fois ses quatre enfants vivants nés de son premier mariage.  Une photo retrouvée chez les Fréchette en témoigne, on y voit Marguerite, Armand (qui a 7 ans), Germaine et Fernando.


De gauche à droite:  Marguerite, Armand, Germaine et Fernando
Janvier 1916
Source:  archives familiales Exavérina Fréchette

Monsieur Barbeau, le père adoptif d'Armand, mineur à Asbestos,  décide, comme beaucoup de canadiens-français à l'époque, d'aller travailler aux États-Unis.  Donat Barbeau, sa femme et  leur fils adoptif, Armand Jutras, vont donc émigrer définitivement aux États-Unis au printemps 1921.  

Les Barbeau s'établiront à Salem au Massachusetts.  Lors du recensement de 1930, Donat Barbeau est âgé de 53 ans, sa femme Lauria a 45 ans et Armand, que le recenseur inscrit sous le nom de Armand J. Barbeau, a 20 ans.  Donat Barbeau déclare qu’il est né dans l’état de New York en 1877, ce qui n’est pas impossible vu la grande migration des canadiens-français dans les états de la Nouvelle-Angleterre dans le dernier quart du 19e siècle.  D'ailleurs, son père Antime Barbeau, est inhumé au cimetière St. Mary à Salem.



Plaque funéraire au St. Mary Cemetery à Salem
Delphine était le deuxième épouse d'Antime Barbeau
La mère de Donat Barbeau, Lucie Faubert est décédée en 1881
Source:  www.findagrave.com


En 1923, Armand fera parvenir à son père une carte-photo de lui lors de sa communion solennelle où il a inscrit quelques mots à l'intention de son père.


Armand Jutras
1923
Source:  archives familiales Michel Jutras

Source:  archives familiales Michel Jutras


Ma mère m’a dit qu'Albert recevait toujours des cartes de Noël de son fils Armand et qu’à chaque fois, il se demandait bien ce qu’il était arrivé à Armand aux États-Unis.  Puis, Albert a cessé de recevoir de ses nouvelles.

Lors du recensement américain de 1930, Armand vit toujours avec ses parents adoptifs à Salem.  Le 20 décembre de la même année, il se marie avec Dorothea Burridge.  


Armand Jutras et son épouse Dorothea Burridge
Source:  archives familiales Tyler Jutras

Armand Jutras est embauché à la United Shoe Machinery Co. de Beverly dès l'âge de vingt ans.  Il y restera plus de 35 ans.  La USMC a compté jusqu'à 4000 employés et était considérée, à l'époque, comme la plus grande manufacture au monde.  

    
United Shoe Machinery Co. à Beverly au Massachusetts - 1916 - Studio Notman Co.
Source:  Library of Congress

Entre 1930 et 1940, Armand et Dorothea, qui se sont installés à Beverly, auront trois fils:  Armand Jr,  Robert E. et Richard.


Les trois fils d'Armand Jutras vers la fin des années '30
De gauche à droite:  Richard, Robert E. et Armand Jr
À l'arrière, sa mère adoptive Lauria Barbeau et son épouse Dorothea Burridge
Source:  archives familiales Tyler Jutras


Armand Jutras est décédé en décembre 1964, quatre ans avant la mort de son père, Albert Jutras.


Armand et sa femme, Dorothea, sont enterrés au cimetière Waterside de Marblehead (Essex County) dans le Massachusetts.  Leurs trois fils sont vivants. 



Waterside cemetery, Marblehead Essex County, Massachusetts
Source:  www.findagrave.com




Armand Jutras 1951
Cannon Montain, New Hampshire
Source:  archives familiales Tyler Jutras


TYLER

Tyler Jutras est né aux aux États-Unis et vit dans le Massachusetts.  Il a 31 ans.  C'est mon petit-petit-demi-cousin.  Il est le fils de Robert M. Jutras.  Son grand-père est Robert E. Jutras, le fils d'Armand Jutras.  Armand est donc son arrière-grand-père et Albert Jutras, mon grand-père, son arrière-arrière-grand-père.

Au début de 2015, Tyler découvre mon blogue L'Autre bord du lac et le voile commence à se lever sur l'histoire et l'origine de son nom.  Pendant des mois, nous nous sommes échangés des photos et des documents sur Armand Jutras et sa famille américaine.  Finalement, nous avons convenu de nous rencontrer à La Tuque.

Le 6 septembre 2015, Tyler et son amie Jaclyn ont refait le même voyage qu'Armand Jutras avait fait en 1931 avec sa femme.   Comme lui, il est parti de Beverly au Massachusetts et il a conduit jusqu'à La Tuque.    Il est entré dans la ville par la rue Commerciale, il a tourné à droite sur Saint-Joseph puis, sur sa gauche, il a descendu la côte Saint-Louis, tourné sur la rue de la Plage, qui avait changé de nom depuis, et remonté Saint-Augustin jusqu'à la maison de mon père. 

Comme Albert Jutras, mon grand-père, je me berçais sur la galerie dans sa chaise vert fôret.

Tyler arrêta sa voiture.  Il nous a regardés et a sans doute dit à son amie:  "C'est Michel et Jacques Jutras qui sont sur la galerie"...  et il est débarqué. 




On a fait le tour de la maison... tu vois Tyler, c'est ici que mon grand-père dormait... tu vois le trait de scie au plafond de la cuisine, c'est là qu'il pensait d'abord faire passer la cheminée mais il a changé d'idée... regarde Tyler, c'est sur cette poutre que mon grand-père collait les gommes d'épinette qu'il mâchait... viens voir, de la fenêtre de ma chambre, on voit le lac Saint-Louis et au loin, la côte de ski...  




Puis, nous sommes allés faire le tour du p'tit lac et le tour du carré, empruntant les rues de la Plage, Saint-Paul, Saint-Michel et Saint-Augustin.  Finalement, en voiture nous sommes montés au chalet du lac Brochet.  Tu vois ce godendart accroché au mur au-dessus de la fenêtre, c'est celui de mon grand-père... 




Ce fut comme ça pendant tout l'après-midi... que du bonheur d'être ensemble.  Puis le temps de partir est arrivé.  "Vous viendrez à Bervely, ce n'est pas si loin que ça...  Ce serait bien qu'on se revoit un jour...".



De gauche à droite, Jaclyn Lee, Jacques Jutras, Tyler Jutras et moi
6 septembre 2015
sur la galerie de la maison familiale, rue Saint-Augustin

Sur le trottoir, Tyler m'a fait une première accolade comme pour me dire "au revoir"... puis une deuxième, plus longue, comme pour me dire "adieu"...

Merci Tyler.


samedi 12 septembre 2015

Les Boutet

Lors du recensement en 1921,  David Boutet (36 ans) habite au 36 rue Saint-Honoré (aujourd'hui le 346) avec sa femme Emma Fiset (33 ans) et leurs trois fils:  Liboire qui a 5 ans, Léo qui en a 3 et Jean-Laurent qui est âgé d'un an à peine.   David Boutet est propriétaire de sa maison et déclare qu'il est foreman à la Brown.


La petite maison bleue du 36 rue Saint-Honoré (aujourd'hui le 346)
Source:  Google Maps

David Boutet et Emma Fiset auront d'autres enfants après le recensement de 1921:  Albert, Wellie, Léonie et Laurence.

Trois des enfants de David et Emma Boutet habiteront l'Autre bord du lac:  Léo, Jean-Laurent et Léonie.

Léo se mariera avec Rita Patry et ils auront cinq enfants:  Andrée, Alain, Joanne, Manon et Lyne.  La  famille s'établira au 359 de la rue Saint-Augustin.

Son fils Alain, qui était mon ami, avait un arc en fibre de verre de 20 livres de pression avec laquelle nous pouvions, à tour de rôle, tirer nos flèches jusque dans la porte en bois de l'école Saint-Michel sur la butte du même nom.  À partir de l'avant de la maison des Boutet sur la rue Saint-Augustin, ce qui fait très exactement 170 mètres... ÉNORME... pour un arc à 20 livres de pression et une capacité à évaluer le danger de tuer quelqu'un à peu près nulle !


La maison de la famille de Léo Boutet
au 359 rue Saint-Augustin

Détail d'une photo de l'école Saint-Michel
prise par Louise lelou Houde en 1969
déjà publiée sur la page Je viens de... I come from La Tuque


170 mètres...
Source:  Google Maps

Léonie, quant à elle, se mariera avec Charles-Henri Jean et ils auront trois enfants:  Denis, Michel et Ginette.  Ils habiteront une grande maison au 284 de la rue Saint-Michel.

Source:  Google Maps

Charles-Henri Jean
Source:  L'Écho de La Tuque et Haut-Saint-Maurice
Michel était aussi mon copain.  Il était blond comme ce n'est pas possible, ce qui lui avait valu de personnifier le petit Saint-Jean-Baptiste dans la parade du 24 juin 1961, l'année même du cinquantième anniversaire de la ville alors que moi, avec mes cheveux roux...

Son grand-père, David Boutet, avait un chalet au lac Brochet où mes parents et ceux de Jean-Jacqui avaient aussi le leur.  Tous les étés, Michel Jean, Jean-Jacqui Boutet, Daniel Trépanier et moi, nous nous retrouvions sur le quai du chalet des Boutet pour y pêcher des barbottes incroyables.

Chalet d'Aurèle Auger, voisin de celui de David Boutet
 et de celui de Jean-Laurent Boutet
Source:  archives Michel Jutras
Jean-Laurent se mariera avec Irène Boivin, ils habiteront la maison paternelle de la rue Saint-Honoré et auront ensemble un fils, Jean-Jacqui, et adopteront un garçon du nom de Claude Boivin.

Jean-Jacqui, qui était un peu plus jeune que moi mais dont l'énergie compensait largement ses quelques années en moins, était le seul gars du coin à pouvoir replier complètement son pouce contre son poignet, ce qui nous impressionnait bien sûr mais fascinait encore plus les filles du quartier.

Pendant toutes ces années, sans que nous le sachions, se développait chez Jean-Jacqui un talent de comédien hors du commun.

Jean-Jacqui Boutet
Source:  www.ectq.com

Jean-Jacqui est entré au conservatoire d'art dramatique de Québec en septembre 1973.  Aussitôt diplômé, il fonde avec ses amis le théâtre de la Bordée à Québec.  Jean-Jacqui a fait 31 mises en scène et joué au-delà de 125 rôles au théâtre, notamment Falstaff, Le malade imaginaire, Léopold dans À toi pour toujours ta Marie-Lou, Aimable dans La femme du boulanger et bien d'autres.  Il reçoit le Prix Paul-Hébert en 1987 et le Prix des abonnés du Trident en 1991.   En 2011, il jouait au Centre national des Arts à Ottawa, dans la pièce de Wajdi Mouawad, «TEMPS›.



Même si nous restions sur des rues différentes, nous nous rencontrions toujours au pied de la côte Saint-Michel quand venait le temps de former les équipes de softball après souper.  Ça descendait des  rues Saint-Honoré, Saint-Paul, Saint-Michel et Brown, ça arrivait des rues Saint-Augustin et Saint-Louis et finalement, nous étions assez nombreux, en incluant les filles, pour faire deux équipes.  Nous avions de vieilles balles de softball récupérées au stade de la rue Desbiens et des battes que nos pères avaient taillées dans des épinettes grosses comme le bras... de vraies mailloches !