Au coeur de l'Autre bord du lac - 1943

Au coeur de l'Autre bord du lac - 1943
Source: BAnQ - détail d'une carte postale 1943 - numérisation Gaston Gravel

dimanche 9 février 2014

Le lac Brochet



À La Tuque, presque toutes les familles avaient un chalet d'été malgré le fait que la ville était en pleine forêt.  Je dis malgré mais je devrais plutôt dire justement parce que la grande nature était aux portes de la ville.

Les familles les plus en vue avaient le leur au Lac-à-Beauce alors que le lac Wayagamac était la chasse-gardée des membres du sélect St. Maurice Fish and Game Club;  quant au lac Clair, c'était le domaine de Ti-Gus Dubois.

Sur la rive ouest de la rivière Saint-Maurice, les Garceau avait leur chalet au lac Parker et quelques autres familles au lac à l'Inde.

Mon père avait choisi le lac Brochet à la Bostonnais qu'il avait préféré au lac à l'Ours.  Il avait acheté, pour 100$, un terrain de Wilbrod Larouche qui possédait plusieurs lots autour du lac et qui opérait un genre de dépanneur le long de la route.




Je me souviens de deux familles de L'Autre bord du lac qui avaient aussi leur chalet au lac Brochet,  celle de Charles-Henri Jean, de la rue Saint-Michel, et celle de monsieur Boutet, de la rue Saint-Honoré.  Il y avait aussi les chalets de Justin Trépanier, de Léon Denis, de Gaston Matte, d'Oscar Charland  et du vieux monsieur Bourassa qui était aveugle.  Mon père fut le onzième à y construire le sien.  Aujourd'hui, il doit bien y en avoir une quarantaine sinon plus.

Tous ces chalets d'été étaient construits sur le bord du lac... sauf le nôtre.


Mon père en 1959 lors de la construction du chalet

Voici un extrait de L'Autre bord du lac, un recueil de trente textes qui a été publié par Les Éditions d'art Le Sabord en 2011.

Le chalet

Mon père
décida un jour
que nous aurions un chalet
sur le bord de l’eau

nous qui avions déjà un lac
à la maison
nous en aurions un deuxième

mais comme il avait peur de l’eau
parce qu’un jour, disait-il, il s’était noyé 
le chalet s’était retrouvé
sur une butte
surplombant le lac
avec beaucoup de respect 

j’aimais croire 
que nous l’avions construit
en 1959
mon père et moi
pour y accueillir ma mère
quand l’éternité prendrait fin

murs et plancher de contreplaqué
toit de planches embouvetées
armoires à rideaux
châssis de poulaillers
lampes à l’huile
pas d’électricité
ni commodités
de l’eau à la pompe
et le feu pour se chauffer

nous y passions nos vacances
à jouer aux explorateurs
à pêcher, se baigner 
cueillir des bleuets
et nous faire des peurs

nous avions pour voisins
ce policier doux et tranquille
qui construisait des murs
de pierres des champs
et cette femme grande et mince
qui nageait comme un poisson
elle traversait le lac
en guise de promenade matinale

nous avions même un curé de vacances
rose et joufflu
mais habité par une grande tristesse
comme sa petite église

les soirs de pleine lune
on aurait dit
que la radio transistor
recevait trop d’ondes en même temps
on ne comprenait rien 
mais c’était vraiment bien

et pour finir chaque journée
papillons de nuit
maringouins d’insomnie
couverture de CIP
bonne nuit

©  Michel Jutras


Construit en plywood sur des pilotis de cèdre et supporté aux quatre coins par des blocs de ciment, notre chalet avait d'abord été recouvert d'une peinture qu'on disait aluminium.  Mon père était convaincu que cette peinture protégeait de la pourriture et repoussait la chaleur mais l'effet était plutôt ordinaire si bien que le chalet a changé de couleur assez rapidement pour adopter le brun et le vert émeraude.


Mon grand-père en 1960
devant les poteaux de cèdres soutenant la galerie

Comme plusieurs chalets de l'époque, le nôtre n'avait pas l'eau courante, encore moins l'électricité et quant aux toilettes, elles étaient bien sûr à l'extérieur et portaient fièrement le nom de cosses.  Éclairé avec des lampes à l'huile et chauffé avec un box stove, le chalet offrait assez de confort pour y passer nos plus beaux étés.


Photo:  Lucie Jutras

Photo:  Lucie Jutras

Nous puisions l'eau à même une pompe installée sur la berge du lac où nous avions également un quai et une chaloupe.  Celle-ci avait été commandée à un charpentier de La Tuque qui l'avait construite elle-aussi en plywood  et nous avait fabriqué une paire de rames larges comme ce n'était pas possible et qui auraient permis de faire avancer un paquebot!

Le lac Brochet portait bien son nom car des brochets, il y en avait, surtout du côté nord-ouest du lac  où nous laissions traîner à l'arrière de la chaloupe nos trolls rouges et blanches.  En longeant les foins et les nénuphars, ça mordait à coup sûr. En prime, nous pouvions prendre de la barbotte dans une petite baie peu profonde du côté sud-ouest alors que les plus grosses se cachaient sous les quais des Boutet et des Jean.

Quand venait le temps de se baigner, nous descendions au lac en empruntant l'escalier du chalet de nos voisins et nous courrions jusqu'au bout du quai pour y plonger en espérant ne pas frapper un de ces énormes brochets à l'affût, du moins c'est ce que nous croyions.  Pour les plus jeunes de la famille et je pense pour se rassurer lui-même, mon père installait à chaque année des troncs d'arbre lestés aux quatre coins pour délimiter "la plage" !


Baignade au lac Brochet en 1963

Parfois, le dimanche, nous embarquions toute la famille, mon père, ma mère, mon frère, mes trois soeurs, mon grand-père et moi dans notre chaloupe et nous traversions jusqu'à la plage en glaise de l'autre côté du lac où le fond était vraiment doux pour les pieds.  Il va sans dire que personne ne portait de veste de sécurité... quelle idée !

Adolescents, ce qui nous attirait le plus, c'était la piscine à même le lac que monsieur Matte avait conçue, fabriquée et installée devant son chalet, au bas d'une pente abrupte à l'extrémité sud du lac.  Cette structure composée d'une armature de métal lambrissée de lattes de bois sur le fond et les côtés comprenait un trottoir et des parapets sur son pourtour.  Cette piscine était assez grande et profonde pour y plonger et s'y baigner à plusieurs surtout quand les propriétaires n'y étaient pas.  À l'automne, monsieur Matte la retirait de l'eau à l'aide d'un treuil et d'un ingénieux système de rails.  Elle était peinte d'un vert aqua très à la mode à cette époque.

L'hiver, nous allions au chalet à deux reprises.  La première pour la corvée du pelletage du toit et la deuxième pour y faire de la tire sur la neige.  Comme le chemin n'était pas ouvert, nous devions stationner l'auto chez Wilbrod Larouche et monter à pied jusqu'à notre chalet.  


Partie de sucre au chalet en 1964

Un jour, mon père avait eu l'idée d'attacher un câble à l'arrière de sa Ford custom '52 pour que ma soeur, mon frère et moi nous nous laissions tirer avec nos skis sur la route du lac Saint-Jean jusqu'à l'embranchement du chemin du chalet.  Une expérience inoubliable... passible aujourd'hui de je ne sais quelle genre d'amende mais sûrement d'une suspension immédiate du permis de conduire !


Le chalet du lac Brochet en 2004

Nous adorions passer nos étés au chalet.  Nous étions heureux d'y mener une vie rustique:  dormir dans des lits à deux étages,  s'éclairer à la lampe à l'huile,  pomper l'eau du lac, entendre la pluie tomber sur le toit,  chauffer le box stove aux petites heures et dormir sous les épaisses couvertures de la C.I.P.


Dans l'escalier du chalet en 1960




1 commentaire:

  1. Nous avons acquis en juin 2013 un chalet au lac brochet, c'est vraiement un bel endroit, notre chalet est situé près du vôtre. C'est vraiement bien de connaître l'histoire d'un endroit et des habitants .

    Merci
    Christian et Stephany

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