Au coeur de l'Autre bord du lac - 1943

Au coeur de l'Autre bord du lac - 1943
Source: BAnQ - détail d'une carte postale 1943 - numérisation Gaston Gravel

vendredi 24 janvier 2014

La visite

Pendant l'été, Fernande, la soeur de mon père, venait se promener à La Tuque pour voir son père, ses deux frères, Lucien et Lionel, et sa soeur Bertha.  C'était alors l'occasion de pique-niquer au p'tit lac.

Un après-midi au lac Saint-Louis en 1953
Sur cette photographie, on dirait bien une scène à l'italienne avec mon grand-père Albert Jutras qui s'appuie sur le dossier de la chaise de ma mère, Carmen Duplantie.   À sa droite, Fernande Jutras et son mari, Lucien Cloutier qui, cigarette au bec, se penche sur le landau où dort probablement Denise, sa première fille.  À gauche complètement, assise à l'indienne, Bertha Jutras et son fils aîné René.

Cette scène est tellement vivante qu'on peine à croire qu'elle n'a pas été mise en scène.  Même les jeunes garçons qui n'ont rien à voir avec la famille regardent tout ça avec intérêt, le plus grand posant de façon nonchalante, appuyé sur un arbre.

Cette photographie a été prise évidemment au lac Saint-Louis.  On y distingue les cabines pour les baigneurs et la pente donnant sur la côte de la rue Saint-Louis.

Il arrivait aussi que des pique-niques s'organisent dans la cour arrière de la maison de la rue Saint-Augustin comme en fait foi cette photographie.  

Pique-nique dans la cour arrière de notre maison en 1953

Quant au souper, il était servi à l'intérieur de la cuisine qui, malgré ses dimensions réduites, réussissait à contenir tout le monde.

De gauche à droite: Carmen Duplantie, Fernande Jutras,
Bertha Jutras, Lionel Jutras, Albert Jutras, Yolande Noreau
et Lucien Cloutier.  Les enfants, de gauche à droite:
Denise Cloutier, René Cloutier, Michel Jutras et Denis Jutras.

Et quand la visite devait partir, on y allait pour une dernière photo à l'avant de la maison.  Les mères avec leurs premiers enfants:  de gauche à droite, Yolande Noreau (mariée à Lionel Jutras) avec son fils Denis, Fernande Jutras (mariée à Lucien Cloutier) avec sa fille Denise, Donalda Léveillée, une amie de Fernande, avec son bébé, ma mère Carmen Duplantie (mariée à Lucien Jutras) et moi à l'avant et finalement, Bertha Jutras (mariée à Laurent Cloutier) avec son fils René.

Devant le 372 rue Saint-Augustin en 1953
Sur cette photo, on distingue très bien les maisons du côté ouest de la rue Saint-Augustin dont, de gauche à droite, celle occupée par la famille Fortin avant la construction de leur nouvelle maison sur le terrain adjacent (elle fut occupée par la suite par John O'Farrell et sa femme et le logis du haut par la famille du policier Dion), puis celle de la famille O'Farrell qui fut occupée par la suite par la famille de Léo Boutet) et enfin celle de monsieur Côté.











mercredi 15 janvier 2014

Le banc des vieux

Les vieux de l'Autre bord du lac avaient leurs habitudes et la plus commune était celle de monter en ville pour passer une partie de l'après-midi sur un banc public à l'angle des rues Saint-Antoine et Saint-Joseph.  Le coin leur plaisait bien:  le banc faisait face au sud et il était adossé à la Caisse populaire, l'église était de l'autre côté de la rue Saint-Antoine et de l'autre bord de la rue Saint-Joseph, il y avait la Banque canadienne nationale:  donc, juste assez de va-et-vient pour jaser une partie de l'après-midi.


Le bureau de poste
Source:  BAnQ

Banque canadienne nationale
Souce:  BAnQ
Parmi eux, il y avait les vieux de la rue Saint-Augustin dont mon grand-père, Albert Jutras, Oscar Dicaire notre voisin immédiat, monsieur Antoine Tremblay qui demeurait voisin des Boutet et un autre monsieur Tremblay qui restait chez sa fille Rita mariée à Clément Fortin.  Il y avait aussi Arthur Dubord de la rue Gouin et monsieur Larouche de la rue Saint-Michel.   

On les voyait passer après le dîner, toujours bien mis, portant le chapeau pour se protéger du soleil, la veste, la chemise et souvent la cravate.  Au milieu de la côte Saint-Louis, ils s'arrêtaient et s'appuyaient sur leur canne le temps de reprendre leur souffle.

Après son arrêt habituel au banc des vieux, mon grand-père se rendait à la salle des Chevaliers de Colomb, juste à côté du marché public sur la rue Saint-Antoine pour y jouer aux dames.

Salle des Chevaliers de Colomb - en 1951
Fonds Ernest-L. Denoncourt

Puis, on les voyait revenir vers la fin de l'après-midi juste à temps pour la sieste d'avant le souper.

Qu'est-ce qu'ils pouvaient bien se raconter tous ces pionniers de l'Autre bord du lac?  Sans doute leurs souvenirs du temps où ils travaillaient à la Brown, la vie dans leurs villages qu'ils avaient quittés pour s'établir à La Tuque et pour certains, leur émigration aux États-Unis.  Ils se rappelaient aussi de la montée des eaux du p'tit lac après la construction du barrage et de la construction de la nouvelle église.  Ils parlaient de politique bien sûr mais aussi de lutte, de baseball et du temps qu'il fait.

Aujourd'hui, il n'y a plus de banc des vieux.  Il y a bien un parc aménagé juste en face avec quelques bancs et quelques autres longeant la rue Saint-Joseph à quelques pieds des autos stationnées en bordure de celle-ci, mais un banc des vieux, juste pour les vieux, il n'y en a plus.


Albert Jutras et son fils Lucien




vendredi 10 janvier 2014

Lac Abattoir

On ne disait pas "le lac de l'abattoir", on disait le lac Abattoir et on ne se demandait pas pourquoi il portait ce nom.  Pour nous, le lac Abattoir était notre terrain de jeu et il était assez éloigné de la maison pour que ma mère s'inquiète un peu quand on lui disait:  "Je m'en vais au lac Abattoir."

J'ai appris récemment de mon père qu'il s'appelait ainsi parce qu'on y abattait les bêtes et qu'on les dépeçait avant de les vendre au marché public de la rue Saint-Antoine.  À cette époque, il était interdit de "faire boucherie" dans les limites de la ville.

En fait, le lac Abattoir était plutôt une baie formée à l'embouchure de la rivière Bostonnais et de la rivière Saint-Maurice mais cela n'était pas perceptible à hauteur d'homme.  On aurait dit un vrai lac alimenté par une petite rivière.

Plan - 1943
Source:  Hervé Tremblay

Source:  BAnQ
Insurance plan of the town of La Tuque
Underwriters's survey - 1955
Après avoir monté la côte Saint-Michel et longer l'école du même nom, on traversait l'avenue Brown qui n'avait rien d'une avenue et on sautait la haute clôture de la C.I.P.   En arrivant devant le lac par le sud et en longeant le côté ouest, nous traversions d'abord une imposante talle d'aulnes qui donnait sur un massif de noisettiers dont nous ramassions les noix pour les apporter à nos grands-pères qui s'en délectaient.  Toutefois, il y avait un prix à payer, ces noisettes nous laissaient leurs piquants sur les doigts et les mains et ça nous démangeait le reste de la journée.

En continuant plus loin, nous empruntions un sentier le long d'une butte qui longeait le bras du lac jusqu'à la rivière.  Ce coteau abritait de grands pins dont la hauteur était impressionnante et qui servaient de perchoirs à de gros corbeaux et à de magnifiques faucons.

Finalement, en poursuivant le long de ce versant, nous arrivions à l'embouchure avec la rivière Saint-Maurice où nous pêchions le brochet.

Du côté nord du lac Abattoir, il y avait des bleuets en quantité et pour y aller, il fallait cette fois emprunter le côté est du lac, longer la voie ferrée et revenir vers l'ouest pour monter sur un plateau un peu désertique où poussaient bien les plans de bleuets.  Nous en ramassions à l'aide de nos videux jusqu'à ce que notre chaudière de cinq livres, ayant déjà contenu du miel Lowney's, soit pleine.

Ce secteur était plus à risque, du moins nous en avions l'impression, puisqu'il était aussi le domaine d'un vieux monsieur qui n'avait pas bonne réputation de l'Autre bord du lac.  Nos mères ne cessaient d'ailleurs de nous mettre en garde contre des rencontres fortuites avec lui.  Ce qui fut le cas un jour où, ayant rempli nos chaudières de bleuets, nous l'avions aperçu qui s'approchait de l'endroit où nous étions.  Apeurés, nous nous sommes cachés dans une talle d'aulnes pour ensuite nous enfuir en courant, renversant et perdant la moitié de notre récolte.

Mais il n'y avait pas uniquement la pêche, les noisettes et les bleuets au lac Abattoir.  Nous y allions pour des activités pas mal plus téméraires.

Pendant l'hiver, le lac Abattoir une fois gelé, servait à recevoir le bois coupé par les jobbers.  Il était plein de ces tas de bûches déversées par les camions pendant l'hiver de telle sorte qu'au printemps, lors de la débâcle, nous y allions pour jouer aux draveurs.  Imitant leurs courses sur les pitounes flottant dans une espèce de frazie, nous traversions le lac dans toute sa largeur.  Le jeu s'arrêtait quand un de nous perdait pied et plongeait jusqu'à la ceinture dans les eaux glacées du lac.

Le lac Abattoir vers 1955
Source:  Pierre Cantin
Le lac Abattoir avait comme voisin un tout petit lac, presqu'un étang, probablement artificiel, qui ne payait pas de mine et qui servait à l'évidence à recevoir les rejets chimiques de l'usine.  On le toisait du regard et on ne s'en approchait pas trop.  Il était la plupart du temps recouvert d'une croute grise craquelée. On se disait:  "Ce doit être comme ça sur la planète Mars."

Aujourd'hui, le lac Abattoir est borné au sud par une large voie de circulation donnant accès rapidement à l'usine à partir du pied de la côte Bostonnais.  Le bras de la rivière Saint-Maurice semble avoir disparu au profit sans doute d'une canalisation souterraine.  J'aime penser que le champ de bleuets y est toujours du côté nord et que les noisetiers poussent encore du côté ouest.

Photo:  André Mercier