Au coeur de l'Autre bord du lac - 1943

Au coeur de l'Autre bord du lac - 1943
Source: BAnQ - détail d'une carte postale 1943 - numérisation Gaston Gravel

vendredi 10 janvier 2014

Lac Abattoir

On ne disait pas "le lac de l'abattoir", on disait le lac Abattoir et on ne se demandait pas pourquoi il portait ce nom.  Pour nous, le lac Abattoir était notre terrain de jeu et il était assez éloigné de la maison pour que ma mère s'inquiète un peu quand on lui disait:  "Je m'en vais au lac Abattoir."

J'ai appris récemment de mon père qu'il s'appelait ainsi parce qu'on y abattait les bêtes et qu'on les dépeçait avant de les vendre au marché public de la rue Saint-Antoine.  À cette époque, il était interdit de "faire boucherie" dans les limites de la ville.

En fait, le lac Abattoir était plutôt une baie formée à l'embouchure de la rivière Bostonnais et de la rivière Saint-Maurice mais cela n'était pas perceptible à hauteur d'homme.  On aurait dit un vrai lac alimenté par une petite rivière.

Plan - 1943
Source:  Hervé Tremblay

Source:  BAnQ
Insurance plan of the town of La Tuque
Underwriters's survey - 1955
Après avoir monté la côte Saint-Michel et longer l'école du même nom, on traversait l'avenue Brown qui n'avait rien d'une avenue et on sautait la haute clôture de la C.I.P.   En arrivant devant le lac par le sud et en longeant le côté ouest, nous traversions d'abord une imposante talle d'aulnes qui donnait sur un massif de noisettiers dont nous ramassions les noix pour les apporter à nos grands-pères qui s'en délectaient.  Toutefois, il y avait un prix à payer, ces noisettes nous laissaient leurs piquants sur les doigts et les mains et ça nous démangeait le reste de la journée.

En continuant plus loin, nous empruntions un sentier le long d'une butte qui longeait le bras du lac jusqu'à la rivière.  Ce coteau abritait de grands pins dont la hauteur était impressionnante et qui servaient de perchoirs à de gros corbeaux et à de magnifiques faucons.

Finalement, en poursuivant le long de ce versant, nous arrivions à l'embouchure avec la rivière Saint-Maurice où nous pêchions le brochet.

Du côté nord du lac Abattoir, il y avait des bleuets en quantité et pour y aller, il fallait cette fois emprunter le côté est du lac, longer la voie ferrée et revenir vers l'ouest pour monter sur un plateau un peu désertique où poussaient bien les plans de bleuets.  Nous en ramassions à l'aide de nos videux jusqu'à ce que notre chaudière de cinq livres, ayant déjà contenu du miel Lowney's, soit pleine.

Ce secteur était plus à risque, du moins nous en avions l'impression, puisqu'il était aussi le domaine d'un vieux monsieur qui n'avait pas bonne réputation de l'Autre bord du lac.  Nos mères ne cessaient d'ailleurs de nous mettre en garde contre des rencontres fortuites avec lui.  Ce qui fut le cas un jour où, ayant rempli nos chaudières de bleuets, nous l'avions aperçu qui s'approchait de l'endroit où nous étions.  Apeurés, nous nous sommes cachés dans une talle d'aulnes pour ensuite nous enfuir en courant, renversant et perdant la moitié de notre récolte.

Mais il n'y avait pas uniquement la pêche, les noisettes et les bleuets au lac Abattoir.  Nous y allions pour des activités pas mal plus téméraires.

Pendant l'hiver, le lac Abattoir une fois gelé, servait à recevoir le bois coupé par les jobbers.  Il était plein de ces tas de bûches déversées par les camions pendant l'hiver de telle sorte qu'au printemps, lors de la débâcle, nous y allions pour jouer aux draveurs.  Imitant leurs courses sur les pitounes flottant dans une espèce de frazie, nous traversions le lac dans toute sa largeur.  Le jeu s'arrêtait quand un de nous perdait pied et plongeait jusqu'à la ceinture dans les eaux glacées du lac.

Le lac Abattoir vers 1955
Source:  Pierre Cantin
Le lac Abattoir avait comme voisin un tout petit lac, presqu'un étang, probablement artificiel, qui ne payait pas de mine et qui servait à l'évidence à recevoir les rejets chimiques de l'usine.  On le toisait du regard et on ne s'en approchait pas trop.  Il était la plupart du temps recouvert d'une croute grise craquelée. On se disait:  "Ce doit être comme ça sur la planète Mars."

Aujourd'hui, le lac Abattoir est borné au sud par une large voie de circulation donnant accès rapidement à l'usine à partir du pied de la côte Bostonnais.  Le bras de la rivière Saint-Maurice semble avoir disparu au profit sans doute d'une canalisation souterraine.  J'aime penser que le champ de bleuets y est toujours du côté nord et que les noisetiers poussent encore du côté ouest.

Photo:  André Mercier

1 commentaire:

  1. Le lac Abattoir!... La place interdite! Seuls les plus vieux sautaient la clôture de la C.I.P. pour s'y rendre.
    Un jour, j'y suis allé, à 18 ans, avec deux copains, Mock et Jocelyn, après avoir été prendre une draft à la taverne du Windsor. Et on a marché sur le petit lac "crouté"... Il n'y avait plus d'eau dans ce lac. L'usine l'avait rempli de résidus chimiques ou de restes de pâte à papier. Comme Tintin, on avait marché sur la Lune!

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