Au coeur de l'Autre bord du lac - 1943

Au coeur de l'Autre bord du lac - 1943
Source: BAnQ - détail d'une carte postale 1943 - numérisation Gaston Gravel

dimanche 29 décembre 2013

La Chasse-galerie

Albert Jutras, habitant la rue Saint-Augustin, croyait au bon dieu bien sûr mais aussi aux bienfaits de la gomme d'épinette qu'il mâchait régulièrement.  Il mettait toute sa confiance dans l'infusion d'herbe-à-dinde pour éviter le mal de coeur et celle d'écorces de tremble pour combattre le ver solitaire.  Il croyait aussi aux mérites de l'oignon croqué tout rond et des combinaisons portées à l'année.  Finalement, il croyait à la Chasse-galerie.

Le soir du 31 décembre, il s'habillait chaudement et sortait sur la galerie d'en-avant.  Ma mère disait alors:  "Votre grand-père attend la Chasse-galerie" et elle nous expliquait que pepére croyait à cette légende depuis qu'il avait travaillé dans les camps de bûcherons avec son père Eugène.

En 1898, Albert Jutras première rangée, deuxième à partir de la gauche.
Son père Eugène, deuxième rangée, troisième à partir de la gauche.
Il était debout sur la galerie, appuyé sur sa canne et regardait vers le nord, au-dessus de la maison des Boutet.  Ça pouvait durer quelques minutes mais certaines années, c'était plus long.  Puis il rentrait en disant:  "Y-sont passés."   Quand le ciel était très nuageux ou qu'il neigeait, il disait: "J'les ai pas vus passer mais j'les ai entendus."

On se disait qu'il était bien vieux pepére pour voir et entendre des affaires de-mêmes.  On ne savait pas trop ce qu'était la légende de la Chasse-galerie et quand on lui demandait ce qu'il avait vu,  Pepére nous racontait qu'un jour, des bûcherons avaient décidé de descendre en ville la veille du Jour de l'an pour voir leurs blondes, qu'ils étaient embarqués dans leur canot sur la neige et qu'à force de ramer, ils s'étaient envolés au-dessus des forêts et s'étaient rendus jusqu'en ville et que depuis, c'était comme ça à chaque année.  Pepère ne nous racontait pas, qu'en contrepartie, ils avaient été obligés de faire un pacte avec le Diable.  

Source:  Musée McCord
La Chasse-galerie, Henri Julien, 1906, encre sur papier
Ces huit bûcherons avaient promis de ne pas invoquer le nom de Dieu pendant le voyage et de n'accrocher aucun clocher des villages qu'ils allaient survoler.  Mais au retour, ayant un peu trop bu, ils ne purent tenir leurs promesses et le canot s'est finalement pris dans la tête d'un arbre, faisant dégringoler ses occupants à ses pieds.

Source:  BAnQ
Henri Julien, la Dégringolade, 1901, gravure

Une chose est sûre, le soir du 31 décembre, mon grand-père Albert Jutras, né en 1882, les voyait et les entendait passer dans le ciel froid de La Tuque, au-dessus des cheminées de la C.I.P. et de la rue Tessier.  Peut-être était-il déjà embarqué dans la Chasse-galerie... Peut-être aussi que tous les vieux de l'Autre bord du lac sortaient en même temps sur la galerie de leurs maisons pour la voir passer!

Bonne Année !


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