Au coeur de l'Autre bord du lac - 1943

Au coeur de l'Autre bord du lac - 1943
Source: BAnQ - détail d'une carte postale 1943 - numérisation Gaston Gravel

mercredi 25 juin 2014

La fonderie

La Tuque a déjà eu une vraie fonderie.  Pas celle de l'Alcan, effort de guerre oblige, à l'entrée de la ville, mais une vraie fonderie, à l'ancienne !  Et en prime, elle jouxtait notre petite école Saint-Michel sur la butte du même nom.  Elle s'était installée là dès 1919, au coin de la rue Saint-Louis et de l'avenue Brown.


Source:  BAnQ
Underwriter's survey bureau limited - 1954


Source:  BAnQ
Détail d'une photographie numérisée par Gaston Gravel
début des années '40


Photo:  Roland Boudrault - 1955
à l'arrière-plan, la fonderie

Au début, la fonderie était dirigée par Alex Filion et Arthur Turgeon puis elle a été rachetée par Jos Bergeron.   Mon père, Lucien Jutras, se souvient encore très bien de cette époque.  Il se rappelle que la fonderie employait une vingtaine de personnes, qu'elle fournissait bien sûr la Brown en  tuyaux, raccords et cylindres en "brass" mais qu'elle exportait aussi une partie de sa production.  


La fonderie de La Tuque - vers 1920
Source:  The Brown Bulletin, Berlin NH

La fonderie Côté-Bergeron - fin des années '20
Source:  Société historique de La Tuque et du Haut-Saint-Maurice
PH-4641 Fonds Denis Adams

Vue possiblement comparable de l'intérieur de la fonderie
Fonderie de fer à St. John NB
Source:  Musée du Nouveau-Brunswick (MNB)

On jouait souvent dans la cour de l'école Saint-Michel mais dès que nous approchions de la fonderie, nous ralentissions nos pas:  il y avait là quelque chose de mystérieux et dangereux.  D'abord le bâtiment ne payait pas de mine:  il était noir, trapu et sale.  Puis, tout autour, il y avait plein de mâche-fer.

Parfois, nous en approchions suffisamment pour voir par les carreaux des fenêtres le rougeoiement des fourneaux ou des feux de forge.




Nous y dérobions des tiges de fer et de longues broches dont une extrémité était torsadée.  Je ne sais pas à quoi elles servaient mais nous avions eu comme idée qu'elles plairaient sûrement à nos pères qui sauraient comment s'en servir.  Nous en rapportions de grandes quantités à la maison et nous les laissions sous la galerie comme les chats le font avec les souris qu'ils attrapent et qu'ils rapportent fièrement à leurs maîtres.


Paquet de broches provenant de la fonderie
suspendu sous l'avancée du toit du garage depuis 1960


Je crois, par ailleurs, que de nombreuses clôtures de l'Autre bord du lac ont été confectionnées à partir de tuyaux de fer provenant de la fonderie.  Ces tuyaux verticaux espacés d'environ 6 pouces étaient rattachés à l'aide de broches à trois tuyaux horizontaux beaucoup plus longs alors que l'ensemble était soutenu par des poteaux de fer couronnés de capuchons décoratifs en fonte.  Quelques exemples de ces clôtures existent encore sur des terrains de la rue Saint-Augustin. 


Exemple d'une clôture fabriquée avec des tuyaux de fer
dont le poteau vertical est couronné d'un embout décoratif en fonte
(rue Saint-Augustin - 2014)


Exemple de clôture de poteaux de fer (vers 1940)
cour arrière maison familiale de la rue Saint-Augustin

La fonderie a été détruite lors d'un incendie vers 1960 et peu de temps après, sur le site même de la fonderie, ont été construits ce qu'on appelait les blocs "à Riberdy".   









jeudi 12 juin 2014

La shed chez Desroches

Les Desroches habitaient sur la rue Saint-Augustin, à trois maisons de chez-nous, entre les Charland et les Beaudin, juste en face des Boutet.


Photo Google - street view

Maria Tremblay avait été mariée à Lionel Desroches, décédé dans un terrible accident de la route et avec qui elle avait eu sept garçons, Roger, Jean-Guy, Jacques, Lucien, Jean-Paul, Gilles, Michel et une fille, Lise.

Nous aimions tous aller jouer chez Desroches parce qu'il y avait une belle et grande shed à deux étages dans la cour arrière.


À l'arrière-plan, vue de la cour arrière de notre maison,
la shed à deux étages chez Desroches
avec son toit plat et ses deux fenêtres au deuxième étage

La shed, qui sentait bon le diesel et l'huile à moteur, était notre repaire et en particulier le deuxième étage à partir duquel nous pouvions surveiller les allées et venues tout autour.  C'est là que nous décidions ce que nous allions faire dans l'après-midi et si oui ou non, nous allions jouer à la police délivrance après-souper.  

C'est aussi dans la shed que nous décidions qui allaient faire partie des indiens ou des cowboys.  Chaque camp avait ses vedettes et il n'y avait pas de mauvais rôles !  Être un indien, se traduisait par:  "Moi, je suis  Chingachgook... moi c'est Aigle noir."


Chingachgook

Aigle noir

Être un cowboy, signifiait camper le personnage de Roy Rogers ou de Rip Masters.

Roy Rogers

Rip Masters

Les indiens se défendaient avec des fac-similés de couteaux, de tomahawk, d'arcs et de flèches alors que les cowboys portaient à la ceinture des pistolets à pétards-à-cap.


Mon étui à révolver

C'est dans la shed aussi que nous détenions nos prisonniers une fois capturés.  Embarrés au deuxième, les plus habiles s'évadaient toujours par les fenêtres, s'agrippant sur les rebords de celles-ci pour en suite grimper sur le toit et en descendre par l'arrière où il y avait un poteau de corde-à-linge.  Ça faisait vraiment Far-west !

Finalement, c'est aussi chez Desroches, dans la grande cour arrière, que nous pratiquions un drôle de jeu d'équipe qui s'appelait "la bride" et qui consistait à creuser dans la terre une petite tranchée sur laquelle nous déposions en travers un court bâton (la bride, souvent un bout de manche à balai) et sous lequel nous glissions un bâton plus long à l'aide duquel nous projetions la bride le plus loin possible en avant.

Les joueurs de l'équipe adverse devaient essayer de l'attraper au vol et s'ils n'y parvenaient pas, ils devaient alors relancer la bride vers la tranchée alors que le lanceur pouvait, s'il le pouvait, la frapper de nouveau mais au vol.  S'en suivait une méthode compliquée pour compter les points par un mesurage du nombre de longueurs de bride séparant son lieu final d'atterrissage de la petite tranchée du départ !


Groupe de garçons et filles de la rue Saint-Augustin
réunis dans la cour de notre maison - vers 1967
De gauche à droite:
Jacques Jutras, Gilles Fortin, Donald O'Farrell, Lucie et Danièle Jutras,
Monique et Nicole Charland, Manon et Line Boutet.
À l'arrière plan, la shed chez Desroches

Chez les Desroches, mon ami c'était Gilles.  Il avait mon âge et jouait aux pichenottes comme un champion.  Il jouait tellement bien qu'il pouvait vider "la table" comme on disait avant que nous puissions jouer à notre tour.  Nous frappions le "chien" avec l'index alors que lui jouait avec le majeur dont l'ongle était dur comme de l'acier.  Un jour, nous avions organisé un tournoi de pichenottes sur la galerie de notre maison.  Le tournoi avait duré toute la journée et comme Gilles était imbattable, il avait dû jouer toutes les parties à tel point que l'ongle de son majeur avait fini par saigner...

Puis nous avons découvert que nous pouvions jouer aux pichenottes avec des baguettes.  Quelqu'un avait vu ça en dehors et en avait rapportées à La Tuque.  Comme au billard, nous nous sommes mis aux pichenottes avec des baguettes et encore-là, mon ami Gilles excellait.




Gilles était aussi un fervent admirateur de Louis Cyr avec qui sa famille avait un lien de parenté disait-il.  Une chose est sûr, il connaissait presque par coeur tous ses exploits:  Louis Cyr avait levé 250 livres d'un seul doigt, le majeur, il avait retenu deux chevaux alors qu'il était attaché entre les deux et il avait levé une plate-forme avec quinze personnes dessus.  Moi, je le croyais sur parole !


Louis Cyr

Toutefois, il y avait parmi nous des admirateurs d'un autre homme fort très populaire à La Tuque:   Victor Delamarre.  Né à Hébertville, Delamarre dit "les bras morts" était une vedette localement,  assez du moins pour que nos mères nous disent lorsque nous étions trop fanfarons : "Fais pas ton Delamarre !"


Victor Delamarre

Quoiqu'il en soit, les hommes forts faisaient toujours partie de nos projets dans la shed chez Desroches !

Un jour que nous nous baignions au p'tit lac, du côté sud près du P'tit bateau où c'était plus creux,  Gilles perdit pied et cala.  J'ai toujours pensé que je lui avais sauvé la vie en le ramenant à la surface et pendant quelques années de notre enfance, nous nous racontions souvent cette aventure.


Source:  Roland Boudrault

Mon ami Gilles est décédé en 2008 des suites d'une longue maladie.