Au coeur de l'Autre bord du lac - 1943

Au coeur de l'Autre bord du lac - 1943
Source: BAnQ - détail d'une carte postale 1943 - numérisation Gaston Gravel

jeudi 26 mars 2015

Le lac Saint-Louis



"J'ai pour toi un lac
quelque part au monde
un beau lac tout bleu"

Gilles Vigneault



Le lac Saint-Louis qu'on appelait le p'tit lac est au coeur d'un quartier mythique de La Tuque:  l'Autre bord du lac.  Bien que les premiers habitants se soient établis d'abord sur la rive est de la rivière Saint-Maurice à la hauteur du quartier Bélair, c'est massivement qu'ils ont commencé à s'installer à proximité de la nouvelle usine de la St. Maurice Industrial Company dont les travaux de construction débutèrent en 1909 et qui changea de nom en 1915 pour devenir la Brown Corporation.

Le p'tit lac est au creux de ce qui ressemble étrangement à un cratère et son niveau a déjà été probablement beaucoup plus haut que celui que nos ancêtres ont connu.

Dans les histoires et monographies sur La Tuque, on en parle rarement.  Il fait sans doute partie du paysage et il retient très peu l'intérêt des historiens de l'époque.  Son nom lui vient probablement de la rue Saint-Louis qui le longe du côté est et ce, depuis la première séance du Conseil municipal de La Tuque Falls en 1910 où furent désignées les rues Saint-Joseph, Commerciale, Saint-Antoine, Saint-Pierre, Saint-Georges, Saint-Wenceslas et Saint-Louis.

C'est aussi en 1910 que le Conseil municipal adoptait le règlement no. 2 par lequel elle interdisait aux citoyens de se laver ou de se baigner dans le p'tit lac puisque des résidences commençaient à être construites sur le pourtour de celui-ci.

On voit sur la photo qui suit les installations de la Brown, les premières maisons de l'Autre bord du lac concentrées principalement sur les rues Tessier, Saint-Michel, Saint-Honoré et Saint-Paul.




Vers 1915
Source:  BAnQ - collection Magella Bureau



Presqu'à la même époque, une vue de la côte Saint-Louis où il n'y a aucune construction sauf celle de l'entreprise Lambert qui deviendra celle de Joseph-Élie Tremblay et une maison à deux étages au coin des rues Saint-Georges et Saint-Louis.  À gauche, au centre, une vue partielle du p'tit lac.



1916
Source:  Musée McCord
Photo:  Wm. Notman & Son


Cette belle photo hivernale est datée de 1915 selon Appartenance Mauricie mais je crois qu'elle a été prise au début des années '20 puisque la coupe de la glace n'a été autorisée au p'tit lac qu'à partir de 1920, que les installations de Jos Morissette y apparaissent et qu'il y a quelques habitations nouvelles sur la rue Saint-Louis par rapport à la photo précédente de 1916.



Vers 1920
Source:  Appartenance Mauricie
Provenance:  Brian Braithwaite




Un orignal au p'tit lac...


Vers 1920
Source:  Appartenance Mauricie
Provenance:  Horace Gravel


C'est en 1920 que le Conseil municipal fut avisé que le docteur Vallée du bureau de l'Hygiène publique permettait dorénavant que l'eau du p'tit lac puisse être consommée vu que l'analyse avait été trouvée bonne mais à condition qu'on n'y déverse plus d'égouts.  On sait que la construction du tunnel se déversant dans  la rivière Saint-Maurice avait permis au p'tit lac de se débarasser de ses impuretés.  (Source:  Aldori Dupont dans sa "monographie" sur La Tuque)

Un système de pompes a toujours été requis pour maintenir le niveau du lac Saint-Louis et mon père, Lucien Jutras, se souvient encore aujourd'hui du jour, où les pompes ont fait "défaut" et qu'à ce moment le niveau du lac avait monté jusqu'à la hauteur des maisons de la rue du Lac (aujourd'hui la rue de la Plage).  Il avait eu très peur que l'eau n'atteigne la maison familiale.  Ce système est encore en opération aujourd'hui et il permet toujours de maintenir un niveau acceptable du lac.

La photo qui suit a été prise par le photographe, malheureusement non identifié, du Canadien National vers 1920.  La mise en scène est digne des meilleurs photographes de l'époque et elle me rappelle particulièrement la technique de Pierre-F. Pinsonneault de Trois-Rivières.  Au coin des rues de la Plage et Saint-Paul, les maisons d'Odilon Lajoie (un étage et demi) et celle des Pelletier (de type boom town), une véritable icône de L'Autre bord du lac.  Et encore le mystérieux château branlant qu'on distingue parfaitement au coin des rues Saint-Paul et Saint-Michel.



Vers 1920
Source:  Bibliothèque et Archives du Canada
Photo:  Canadien National



C'est à partir de 1920 que le Conseil municipal de La Tuque a modifié son règlement pour permettre la coupe de la glace.  Le plus important entrepreneur dans le domaine fut sans doute Alfred Morissette, dit Ti-Fred la glace, dont on voit sur la photo suivante le camion servant à transporter les blocs de glace.


1925
Camion à glace d'Alfred Morrissette
Source:  Appartenance Mauricie


La photo qui suit est remarquable par sa précision et sa composition.  Elle a été prise par le photographe du Canadien National vers 1925.  On y voit l'église paroissiale qui a été "reculée" pour faire place à la nouvelle église Saint-Zéphirin pas encore construite.  On distingue la salle paroissiale et le couvent des Soeurs de l'Assomption.  Puis une belle perspective de la rue Saint-Pierre au bout de laquelle nous apercevons le commerce de F.-X. Lamontagne.  Adossées au p'tit lac, les maisons de la rue Saint-Georges et leurs jardins potagers en arrière-cour.  Et le p'tit lac dans toute sa splendeur avec ses sentiers et ses rigoles d'eau de pluie.  Aucun aménagement du côté sud ne vient troubler la paix du lac Saint-Louis.  Du côté Nord, à l'avant-plan, des roseaux dans l'eau cachent sans doute quelques brochets à l'affût.



1925
Source:  Bibliothèque et Archives du Canada
Photo:  Canadien National



Une vue plus générale du quartier L'Autre bord du lac vers 1930 mais sûrement pas après puisque la nouvelle église n'est pas encore en chantier.  Encore là, on distingue très bien les installations de Jos Morissette pour l'entreposage de la glace coupée au p'tit lac pendant l'hiver.


Vers 1930
Source:  Appartenance Mauricie
Provenance:  Brian Braithwaite




De nouvelles maisons apparaîssent sur cette photo et notamment sur la rue Saint-Louis dont celle d'Arthur Dubord vraiment dans le "pied de la côte".



Vers 1930
Source:  Appartenance Mauricie
Provenance:  Roland Ménard


Sur la photo suivante prise vers 1940, on aperçoit à l'avant-plan le lac Abattoir avec son bras le reliant à la rivière Saint-Maurice.  L'hiver les "jobbers" y accumulaient leurs voyages de pitounes et au printemps, elles étaient repoussées par ce bras de rivière jusqu'au Saint-Maurice.

Le lac Abattoir, se trouvant au nord et plus haut que le lac Saint-Louis, il s'est fait accusé de bien des maux:  c'était de sa faute si le lac Saint-Louis débordait, si ses eaux étaient poluées par l'abattage des animaux de boucherie et s'il y avait des rats dans les caves des maisons près du lac.

À droite du lac Abattoir, le lac aux Sapins qui servait de déversoir aux effluents chimiques et poluants de la Brown et de la C.I.P. et qui finit par se putréfier en entier.


Vers 1940
Source:  Appartenance Mauricie

Ici, une belle vue du lac Saint-Louis dans les années '40 à partir des arrières-cours des maisons de la rue Saint-Georges.


Vers 1940
Source:  Appartenance Mauricie


Le p'tit lac avait son p'tit bateau où nos parents pouvaient louer des chaloupes pour aller pêcher le brochet ou simplement se promener sur le lac.  Il a porté longtemps le nom Alouette.



1942
Archives de Roland Boudrault


Voici une photo magnifique de Roland Boudrault sur la rive sud du lac.  Cette photo a été prise par sa mère en 1942.


1942
Archives de Roland Boudrault


Une autre belle perspective du lac Saint-Louis à partir du talus à l'arrière du couvent des soeurs de l'Assomption et de la salle paroissiale avec le tennis municipal, le lac et les rue Saint-Paul et Saint-Augustin au nord de celui-ci.  Sur cette carte postale, deux jeunes femmes jouent au tennis, il s'agit de Bertha Jutras (à droite) et d'une demoiselle Dicaire (à gauche).


1943
Source:  BAnQ



Et ce fut les belles années de la baignade et des pique-niques au p'tit lac ...



Vers 1945
Source:  Appartenance Mauricie



Pique-nique au p'tit lac en 1953
Archives familiales Lucien Jutras




Vers 1955
Source:  Appartenance Mauricie


... sans oublier la pêche aux brochets et c'est du côté nord du lac où ça mordait le plus souvent. 


1955
Archives de Roland Boudrault


... et puis, on commença à aménager les berges du p'tit lac, en se promettant qu'un jour on pourrait en faire le tour complet en se promenant bien gentiment...  et on attendit pas trop longtemps avant que cela se concrétise...





Vers 1958
Archives de Roland Boudrault

C'est en 1959 que débutèrent les grands travaux d'aménagement du lac Saint-Louis qui allaient se poursuivre pendant toute l'année suivante afin qu'ils soient terminés pour les fêtes du cinquantenaire en 1961.



Vers 1960
Archives de Roland Boudrault


Une partie de ces travaux furent complétés pour l'été 1960 mais ce n'était rien à comparer à ce qui s'en venait... 



Vers 1960
Source:  Appartenance Mauricie
Provenance:  Le Nouvelliste



... pour les fêtes du cinquantenaire de La Tuque:  promenade bétonnée ceinturant le lac, clôture d'acier galvanisé, jeux pour enfants, carré de sable, tables à pique-nique, enclos à chevreuils, implantation de canards, kiosque à patates, madone, monument des maires, fontaine, piscine pour les petits et une autre pour les plus grands, belvédère rue Saint-Honoré et un autre pour la rue Saint-Wenceslas / Saint-Pierre, kiosque à musique et rénovation du 0-100-20.  Les festivités furent grandioses ! 



1961
Archives de Roland Boudrault



1961
Archives de Roland Boudrault



La Ville de La Tuque fit même ensemencer 5 000 truites dans le p'tit lac mais fit adopter rapidement un règlement pour en limiter la pêche lors d'occasions spéciales seulement.  Celles-ci, pas folles, se tenaient devant la prise d'eau du déversoir sous-terrain conduisant au Saint-Maurice...



Vers 1962-1963
De gauche à droite:  Larry Brown, Jos Chevrette et Lucien Poitras
Source:  La Tuque, des gens, des lieux, des époques
Provenance:  Gary Brown



Vers 1962
Source:  BAnQ





Finalement, l'histoire du p'tit lac allait être marquée par l'immense succès populaire du "Vingt-quatre heures" de La Tuque, une compétition de nage par équipe tenue pour la première fois en 1965.   Sur la photo suivante, on distingue les bouées qui délimitaient le "circuit" des nageurs et au centre la fontaine représentant un nénuphar qui avait remplacé celle en forme d'étoile.


1972
Source:  BAnQ
Photo:  Henri Rémillard


Les belles années du p'tit lac prirent fin le jour où la baignade fut interdite.  La Ville de La Tuque fit installer des glissades d'eau au nord de celui-ci pour compenser la perte de la belle plage qui avait fait notre bonheur pendant bien des années. 

Suivirent de grands travaux pour remettre à la nature ce que les hommes lui avaient volé.  En 1990, les murets de béton qui ceinturaient le lac furent démolis.  Quelques années plus tard, des travaux de naturalisation ont été entrepris pour améliorer la qualité de l'eau et éliminer les barbottes.  Ces travaux ont été concluents puisque la baignade fut à nouveau autorisée en 2004 et 2005.  Mais cela n'aura duré que ces deux années. 


2005
Source:  La Tuque, des gens, des lieux, des époques
Photo:  André Mercier


2007
Source:  La Tuque, des gens, des lieux, des époques
Photo:  André Mercier

Et ce fut la catastrophe.   Les algues bleus firent leur apparition.

On mit vite la faute encore une fois sur le pauvre lac Abattoir mais des études du ministère de l'Environnement prouvèrent qu'il n'y avait pas de causalité entre les deux lacs.  


2010

Aujourd'hui, on peut encore se promener autour du p'tit lac mais c'est seulement par les matins brumeux qu'il retrouve tout son charme...


2014
Photo:  Jacques Jutras