ARMAND
En 1931, Armand décida d'aller voir son père pour lui présenter sa femme. Il partit donc de Beverly au Massachusetts où il s'était établi avec son épouse et conduisit jusqu'à La Tuque. Il avait 22 ans. Il entra dans la ville par la rue Commerciale, tourna à droite sur Saint-Joseph puis, sur sa gauche, il descendit la côte Saint-Louis, tourna sur la rue du Lac et remonta sur Saint-Augustin jusqu'à la maison de son père.
En 1931, Armand décida d'aller voir son père pour lui présenter sa femme. Il partit donc de Beverly au Massachusetts où il s'était établi avec son épouse et conduisit jusqu'à La Tuque. Il avait 22 ans. Il entra dans la ville par la rue Commerciale, tourna à droite sur Saint-Joseph puis, sur sa gauche, il descendit la côte Saint-Louis, tourna sur la rue du Lac et remonta sur Saint-Augustin jusqu'à la maison de son père.
Albert Jutras, mon grand-père, se berçait sur la galerie. Il avait 49 ans.
La maison de la rue Saint-Augustin vers 1940 Source: archives familiales Michel Jutras |
Armand s'arrêta devant la maison. Il regarda son père dans sa balançoire vert forêt et dit à sa femme: "Regarde, c'est mon père qui est là"... et il repartit.
Mon grand-père a dû voir cette automobile s'arrêter devant sa maison. Il devait fumer sa pipe en se demandant : "Qui c'est qui s'arrête devant chez-nous?"
Que serait-il arrivé si Armand était débarqué. S'il avait dit à mon grand-père: "Je suis Armand Jutras, votre fils."
Armand est né le 25 octobre 1909 sur la rue Laurier à Asbestos.
Il était le fils d’Albert Jutras et de Marie Houle.
Une partie de la rue Laurier à Asbestos vers 1910 Source: www.collectionscanada.gc.ca |
Il était le fils d’Albert Jutras et de Marie Houle.
De gauche à droite: Albert Jutras, son deuxième fils Fernando sa femme Marie Houle et son père Eugène Jutras vers 1907 Source: archives familiales Michel Jutras |
Marie Houle, la mère d'Armand, mourut le 8 février 1911 à l’âge de 28 ans, quelques jours seulement après avoir donné naissance à une petite fille, Marguerite. Au décès de sa femme, mon grand-père est âgé de 28 ans, il travaille comme journalier. Il n'est pas riche. Il reste seul avec ses quatre enfants dont un bébé naissant. Albert prend donc des décisions difficiles. Il garde avec lui Fernando son plus vieux qui a cinq ans et se résigne à donner les trois autres. Germaine, qui n'a pas encore trois ans, s'en ira dans la famille d'Amédée Ménard et de sa femme Anna. Marguerite, qui vient de naître, sera confiée à Arthur Lafrance et à sa femme Emma. Armand, qui n'a que seize mois, sera adopté par Donat Barbeau et sa femme Lauria. Toutes ces familles vivent à Asbestos.
Le 18 janvier 1916, à Saint-Zéphirin-de-Courval, Albert Jutras se remarie avec Exavérina Fréchette (sa deuxième épouse). Ce sera l'occasion de réunir une dernière fois ses quatre enfants vivants nés de son premier mariage. Une photo retrouvée chez les Fréchette en témoigne, on y voit Marguerite, Armand (qui a 7 ans), Germaine et Fernando.
Le 18 janvier 1916, à Saint-Zéphirin-de-Courval, Albert Jutras se remarie avec Exavérina Fréchette (sa deuxième épouse). Ce sera l'occasion de réunir une dernière fois ses quatre enfants vivants nés de son premier mariage. Une photo retrouvée chez les Fréchette en témoigne, on y voit Marguerite, Armand (qui a 7 ans), Germaine et Fernando.
De gauche à droite: Marguerite, Armand, Germaine et Fernando Janvier 1916 Source: archives familiales Exavérina Fréchette |
Monsieur Barbeau, le père adoptif d'Armand, mineur à Asbestos, décide, comme beaucoup de canadiens-français à l'époque, d'aller travailler aux États-Unis. Donat Barbeau, sa femme et leur fils adoptif, Armand Jutras, vont donc émigrer définitivement aux États-Unis au printemps 1921.
Les Barbeau s'établiront à Salem au Massachusetts. Lors du recensement de 1930, Donat Barbeau est âgé de 53 ans, sa femme Lauria a 45 ans et Armand, que le recenseur inscrit sous le nom de Armand J. Barbeau, a 20 ans. Donat Barbeau déclare qu’il est né dans l’état de New York en 1877, ce qui n’est pas impossible vu la grande migration des canadiens-français dans les états de la Nouvelle-Angleterre dans le dernier quart du 19e siècle. D'ailleurs, son père Antime Barbeau, est inhumé au cimetière St. Mary à Salem.
Plaque funéraire au St. Mary Cemetery à Salem Delphine était le deuxième épouse d'Antime Barbeau La mère de Donat Barbeau, Lucie Faubert est décédée en 1881 Source: www.findagrave.com |
En 1923, Armand fera parvenir à son père une carte-photo de lui lors de sa communion solennelle où il a inscrit quelques mots à l'intention de son père.
Armand Jutras 1923 Source: archives familiales Michel Jutras |
Lors du recensement américain de 1930, Armand vit toujours avec ses parents adoptifs à Salem. Le 20 décembre de la même année, il se marie avec Dorothea Burridge.
Armand Jutras et son épouse Dorothea Burridge Source: archives familiales Tyler Jutras |
Armand Jutras est embauché à la United Shoe Machinery Co. de Beverly dès l'âge de vingt ans. Il y restera plus de 35 ans. La USMC a compté jusqu'à 4000 employés et était considérée, à l'époque, comme la plus grande manufacture au monde.
United Shoe Machinery Co. à Beverly au Massachusetts - 1916 - Studio Notman Co. Source: Library of Congress |
Entre 1930 et 1940, Armand et Dorothea, qui se sont installés à Beverly, auront trois fils: Armand Jr, Robert E. et Richard.
Armand Jutras est décédé en décembre 1964, quatre ans avant la mort de son père, Albert Jutras.
Armand et sa femme, Dorothea, sont enterrés au cimetière Waterside de Marblehead (Essex County) dans le Massachusetts. Leurs trois fils sont vivants.
Waterside cemetery, Marblehead Essex County, Massachusetts Source: www.findagrave.com |
Armand Jutras 1951 Cannon Montain, New Hampshire Source: archives familiales Tyler Jutras |
TYLER
Tyler Jutras est né aux aux États-Unis et vit dans le Massachusetts. Il a 31 ans. C'est mon petit-petit-demi-cousin. Il est le fils de Robert M. Jutras. Son grand-père est Robert E. Jutras, le fils d'Armand Jutras. Armand est donc son arrière-grand-père et Albert Jutras, mon grand-père, son arrière-arrière-grand-père.
Au début de 2015, Tyler découvre mon blogue L'Autre bord du lac et le voile commence à se lever sur l'histoire et l'origine de son nom. Pendant des mois, nous nous sommes échangés des photos et des documents sur Armand Jutras et sa famille américaine. Finalement, nous avons convenu de nous rencontrer à La Tuque.
Le 6 septembre 2015, Tyler et son amie Jaclyn ont refait le même voyage qu'Armand Jutras avait fait en 1931 avec sa femme. Comme lui, il est parti de Beverly au Massachusetts et il a conduit jusqu'à La Tuque. Il est entré dans la ville par la rue Commerciale, il a tourné à droite sur Saint-Joseph puis, sur sa gauche, il a descendu la côte Saint-Louis, tourné sur la rue de la Plage, qui avait changé de nom depuis, et remonté Saint-Augustin jusqu'à la maison de mon père.
Comme Albert Jutras, mon grand-père, je me berçais sur la galerie dans sa chaise vert fôret.
Tyler arrêta sa voiture. Il nous a regardés et a sans doute dit à son amie: "C'est Michel et Jacques Jutras qui sont sur la galerie"... et il est débarqué.
On a fait le tour de la maison... tu vois Tyler, c'est ici que mon grand-père dormait... tu vois le trait de scie au plafond de la cuisine, c'est là qu'il pensait d'abord faire passer la cheminée mais il a changé d'idée... regarde Tyler, c'est sur cette poutre que mon grand-père collait les gommes d'épinette qu'il mâchait... viens voir, de la fenêtre de ma chambre, on voit le lac Saint-Louis et au loin, la côte de ski...
Puis, nous sommes allés faire le tour du p'tit lac et le tour du carré, empruntant les rues de la Plage, Saint-Paul, Saint-Michel et Saint-Augustin. Finalement, en voiture nous sommes montés au chalet du lac Brochet. Tu vois ce godendart accroché au mur au-dessus de la fenêtre, c'est celui de mon grand-père...
Ce fut comme ça pendant tout l'après-midi... que du bonheur d'être ensemble. Puis le temps de partir est arrivé. "Vous viendrez à Bervely, ce n'est pas si loin que ça... Ce serait bien qu'on se revoit un jour...".
On a fait le tour de la maison... tu vois Tyler, c'est ici que mon grand-père dormait... tu vois le trait de scie au plafond de la cuisine, c'est là qu'il pensait d'abord faire passer la cheminée mais il a changé d'idée... regarde Tyler, c'est sur cette poutre que mon grand-père collait les gommes d'épinette qu'il mâchait... viens voir, de la fenêtre de ma chambre, on voit le lac Saint-Louis et au loin, la côte de ski...
Puis, nous sommes allés faire le tour du p'tit lac et le tour du carré, empruntant les rues de la Plage, Saint-Paul, Saint-Michel et Saint-Augustin. Finalement, en voiture nous sommes montés au chalet du lac Brochet. Tu vois ce godendart accroché au mur au-dessus de la fenêtre, c'est celui de mon grand-père...
Ce fut comme ça pendant tout l'après-midi... que du bonheur d'être ensemble. Puis le temps de partir est arrivé. "Vous viendrez à Bervely, ce n'est pas si loin que ça... Ce serait bien qu'on se revoit un jour...".
De gauche à droite, Jaclyn Lee, Jacques Jutras, Tyler Jutras et moi 6 septembre 2015 sur la galerie de la maison familiale, rue Saint-Augustin |
Sur le trottoir, Tyler m'a fait une première accolade comme pour me dire "au revoir"... puis une deuxième, plus longue, comme pour me dire "adieu"...
Merci Tyler.