La rue Saint-Augustin est un chat qui fait le dos rond. Sur sa partie la plus élevée, il y a comme un plateau juste devant les Boutet et les Desroches et c'est là qu'on jouait au hockey après souper.
Fallait d'abord se donner rendez-vous, le faire savoir à tout le monde, désigner les deux capitaines qui, par la suite, choisissaient à tour de rôle leurs joueurs. Les meilleurs étaient pris en premier, les moins bons en dernier.
C'est qui qui goale à soir?
Y-a personne qui veut goaler?
Bon, OK Chouinard, tu vas goaler!
On lui attachait deux catalogues Eaton sur le devant des jambes et avec le hockey de goaleur que nous avions fabriqué avec le manche d'un vieux bâton de hockey et une palette en plywood boltée sur ce manche improvisé, nous avions notre goaleur !
Les buts étaient faits de deux blocs de glace à chaque bout de cette partie de la rue Saint-Augustin. Puis on se donnait un nom d'équipe et des noms de joueurs. J'ai souvent joué en tant que Stan Mikita. Mais les glus grands étaient là aussi: Jean Béliveau, Maurice Richard, Gordie Howe, Jacques Plante.
Nos bâtons de hockey étaient ce que nous appelions des bougons c'est-à-dire des restes de hockey souvent trop courts, cassés, avec des moitiés de palette mais ça faisait l'affaire puisque personne n'avait de hockey neuf.
Et la partie pouvait débuter !
Aie, Dion, on a dit qu'on n’avait pas le droit de jouer du cul!
Ah non, un char s'en vient!
Tassez les buts, il va les écraser!
OK on recommence.
Ça durait jusqu'à ce que nos mères sortent sur les galeries pour nous crier de rentrer, qu'il était assez tard.
Les pieds gelés dans nos bottines de feutre recouvertes de bottes en caoutchouc, on rentrait les joues rouges, les mains froides et le coeur heureux.
Tiré de mon recueil de petites histoires L'Autre bord du lac, publié aux Éditions d'art Le Sabord en 2011
LA DÉFENSE
Le décision était sans appel
tu vas jouer à la défense
m’avait dit le mariste sportif
après m’avoir vu patiner
faut dire que c’était la première fois
que je mettais des patins
ceux que matante Gracia
avait donnés à mon père
des 11
alors que je portais des 6
moi qui aimais le hockey
dans la rue
avec ses bandes en bancs de neige
ses buts en blocs de glace
ses pads en catalogue Eaton
sa technique jouer du cul
et Stan Mikita
je trouvais que ça sentait fort
la chambre des joueurs
on m’avait conseillé
après le premier entraînement
de m’acheter des jambières, des gants
et un vrai bâton de hockey
comme si le bougon que mon père
avait trouvé dans les poubelles
ne faisait pas l’affaire
pour jouer à la défense
pour la première partie
j’étais quand même bien équipé
des gants des Maple Leafs
des bas du Canadien
un vrai bâton de hockey
et des 11 dans les pieds
et ça
personne n’en avait
coup de sifflet
instrument d’enfer
tout le monde sur la glace
je prends ma position à la défense
du moins celle que je croyais être la bonne
c’est-à-dire à la droite du gardien
qu’ils y viennent juste pour voir
prêt à défendre mon cerbère
coûte que coûte
mais le mariste entraîneur
me fit de grands signes en criant
monte en avant, en avant
alors que je devais défendre le gardien
je n’y comprenais plus rien
à la reprise, c’est ce que je fis
en avant toute
mais voilà mon coach de mariste
qui me crie
en arrière, en arrière
défense, défense
comment ça se fait
que j’aimais tellement ça le hockey
dans la rue