Au coeur de l'Autre bord du lac - 1943

Au coeur de l'Autre bord du lac - 1943
Source: BAnQ - détail d'une carte postale 1943 - numérisation Gaston Gravel

jeudi 27 février 2014

Chasse à l'ours

Nous allions dans le bois aussi souvent que nous pouvions;  l'été pour pêcher et l'automne pour tendre nos collets à lièvres et chasser.  Au début, je n'avais que ma carabine à plombs et mon arc en fibre de verre à quatre livres de pression.  Puis, mon père m'a donné la permission de prendre sa 22 long rifle. Les perdrix n'avaient qu'à bien se tenir !  On appelait ça la petite chasse.

Mais un beau jour, un de mes amis de la rue Saint-Michel, me demande si ça me tente d'aller à la chasse à l'ours.


Je devais avoir treize ou quatorze ans. Nous n'avions même pas de carabine digne de ce nom et on ne savait rien de la chasse à l'ours.  Voici donc un petit texte que j'ai intitulé 303 et qui raconte comment deux garçons de l'Autre bord du lac sont partis un jour à la chasse à l'ours!

303

—  Es-tu déjà allé à la chasse à l'ours ?

—  Non pourquoi ?

—  On va y aller après midi.

—  Avec quoi ?  J'ai juste une 22.

—  On va s'acheter une 303.

—  Où ça ?

—  Chez Lamontagne.  Y-en a une à 13$.  Une 303 Lee Enfield.  Une 303 qui a peut-être tué des allemands pendant la guerre.


—  T'es sûr qu'on peut ?  Je veux dire qu'on a le droit de tirer de la 303.

Et nous voilà partis à pied, avec notre 303 sur l’épaule, rue Commerciale, direction le lac Wayagamac, à la chasse à l'ours.

—  Il nous faut du miel pour l'attirer.  Paraît que les ours, ils aiment ça le miel.

Trois milles sur la track, après le fer-à-cheval, avant les étangs Emmanuel, c'est là qu'on va l'attendre.



Source:  Tourisme Mauricie

—  Mets du miel sur la track.  Mets-en, ils aiment ça le miel.

—  Cachons-nous dans le fossé.  Attendons.

—  C'est donc bien long.  T'es sûr qu'ils aiment ça le miel.

—  Y-a pas d'ours ici.  Viens, on s'en va.

—  Pis la 303 ?  On n'a même pas tiré un coup.

—  Tu vois le fanal du CN là-bas, sur le poteau.  Envoye, tire.

—  Yes.

©  Michel Jutras


Il peut paraître invraisemblable aujourd'hui que deux adolescents arrêtent à la quincaillerie du coin pour acheter une 303 et partent à pied pour aller chasser l'ours par un bel après-midi d'été mais rien n'est plus authentique que cette petite histoire de l'Autre bord du lac.








dimanche 9 février 2014

Le lac Brochet



À La Tuque, presque toutes les familles avaient un chalet d'été malgré le fait que la ville était en pleine forêt.  Je dis malgré mais je devrais plutôt dire justement parce que la grande nature était aux portes de la ville.

Les familles les plus en vue avaient le leur au Lac-à-Beauce alors que le lac Wayagamac était la chasse-gardée des membres du sélect St. Maurice Fish and Game Club;  quant au lac Clair, c'était le domaine de Ti-Gus Dubois.

Sur la rive ouest de la rivière Saint-Maurice, les Garceau avait leur chalet au lac Parker et quelques autres familles au lac à l'Inde.

Mon père avait choisi le lac Brochet à la Bostonnais qu'il avait préféré au lac à l'Ours.  Il avait acheté, pour 100$, un terrain de Wilbrod Larouche qui possédait plusieurs lots autour du lac et qui opérait un genre de dépanneur le long de la route.




Je me souviens de deux familles de L'Autre bord du lac qui avaient aussi leur chalet au lac Brochet,  celle de Charles-Henri Jean, de la rue Saint-Michel, et celle de monsieur Boutet, de la rue Saint-Honoré.  Il y avait aussi les chalets de Justin Trépanier, de Léon Denis, de Gaston Matte, d'Oscar Charland  et du vieux monsieur Bourassa qui était aveugle.  Mon père fut le onzième à y construire le sien.  Aujourd'hui, il doit bien y en avoir une quarantaine sinon plus.

Tous ces chalets d'été étaient construits sur le bord du lac... sauf le nôtre.


Mon père en 1959 lors de la construction du chalet

Voici un extrait de L'Autre bord du lac, un recueil de trente textes qui a été publié par Les Éditions d'art Le Sabord en 2011.

Le chalet

Mon père
décida un jour
que nous aurions un chalet
sur le bord de l’eau

nous qui avions déjà un lac
à la maison
nous en aurions un deuxième

mais comme il avait peur de l’eau
parce qu’un jour, disait-il, il s’était noyé 
le chalet s’était retrouvé
sur une butte
surplombant le lac
avec beaucoup de respect 

j’aimais croire 
que nous l’avions construit
en 1959
mon père et moi
pour y accueillir ma mère
quand l’éternité prendrait fin

murs et plancher de contreplaqué
toit de planches embouvetées
armoires à rideaux
châssis de poulaillers
lampes à l’huile
pas d’électricité
ni commodités
de l’eau à la pompe
et le feu pour se chauffer

nous y passions nos vacances
à jouer aux explorateurs
à pêcher, se baigner 
cueillir des bleuets
et nous faire des peurs

nous avions pour voisins
ce policier doux et tranquille
qui construisait des murs
de pierres des champs
et cette femme grande et mince
qui nageait comme un poisson
elle traversait le lac
en guise de promenade matinale

nous avions même un curé de vacances
rose et joufflu
mais habité par une grande tristesse
comme sa petite église

les soirs de pleine lune
on aurait dit
que la radio transistor
recevait trop d’ondes en même temps
on ne comprenait rien 
mais c’était vraiment bien

et pour finir chaque journée
papillons de nuit
maringouins d’insomnie
couverture de CIP
bonne nuit

©  Michel Jutras


Construit en plywood sur des pilotis de cèdre et supporté aux quatre coins par des blocs de ciment, notre chalet avait d'abord été recouvert d'une peinture qu'on disait aluminium.  Mon père était convaincu que cette peinture protégeait de la pourriture et repoussait la chaleur mais l'effet était plutôt ordinaire si bien que le chalet a changé de couleur assez rapidement pour adopter le brun et le vert émeraude.


Mon grand-père en 1960
devant les poteaux de cèdres soutenant la galerie

Comme plusieurs chalets de l'époque, le nôtre n'avait pas l'eau courante, encore moins l'électricité et quant aux toilettes, elles étaient bien sûr à l'extérieur et portaient fièrement le nom de cosses.  Éclairé avec des lampes à l'huile et chauffé avec un box stove, le chalet offrait assez de confort pour y passer nos plus beaux étés.


Photo:  Lucie Jutras

Photo:  Lucie Jutras

Nous puisions l'eau à même une pompe installée sur la berge du lac où nous avions également un quai et une chaloupe.  Celle-ci avait été commandée à un charpentier de La Tuque qui l'avait construite elle-aussi en plywood  et nous avait fabriqué une paire de rames larges comme ce n'était pas possible et qui auraient permis de faire avancer un paquebot!

Le lac Brochet portait bien son nom car des brochets, il y en avait, surtout du côté nord-ouest du lac  où nous laissions traîner à l'arrière de la chaloupe nos trolls rouges et blanches.  En longeant les foins et les nénuphars, ça mordait à coup sûr. En prime, nous pouvions prendre de la barbotte dans une petite baie peu profonde du côté sud-ouest alors que les plus grosses se cachaient sous les quais des Boutet et des Jean.

Quand venait le temps de se baigner, nous descendions au lac en empruntant l'escalier du chalet de nos voisins et nous courrions jusqu'au bout du quai pour y plonger en espérant ne pas frapper un de ces énormes brochets à l'affût, du moins c'est ce que nous croyions.  Pour les plus jeunes de la famille et je pense pour se rassurer lui-même, mon père installait à chaque année des troncs d'arbre lestés aux quatre coins pour délimiter "la plage" !


Baignade au lac Brochet en 1963

Parfois, le dimanche, nous embarquions toute la famille, mon père, ma mère, mon frère, mes trois soeurs, mon grand-père et moi dans notre chaloupe et nous traversions jusqu'à la plage en glaise de l'autre côté du lac où le fond était vraiment doux pour les pieds.  Il va sans dire que personne ne portait de veste de sécurité... quelle idée !

Adolescents, ce qui nous attirait le plus, c'était la piscine à même le lac que monsieur Matte avait conçue, fabriquée et installée devant son chalet, au bas d'une pente abrupte à l'extrémité sud du lac.  Cette structure composée d'une armature de métal lambrissée de lattes de bois sur le fond et les côtés comprenait un trottoir et des parapets sur son pourtour.  Cette piscine était assez grande et profonde pour y plonger et s'y baigner à plusieurs surtout quand les propriétaires n'y étaient pas.  À l'automne, monsieur Matte la retirait de l'eau à l'aide d'un treuil et d'un ingénieux système de rails.  Elle était peinte d'un vert aqua très à la mode à cette époque.

L'hiver, nous allions au chalet à deux reprises.  La première pour la corvée du pelletage du toit et la deuxième pour y faire de la tire sur la neige.  Comme le chemin n'était pas ouvert, nous devions stationner l'auto chez Wilbrod Larouche et monter à pied jusqu'à notre chalet.  


Partie de sucre au chalet en 1964

Un jour, mon père avait eu l'idée d'attacher un câble à l'arrière de sa Ford custom '52 pour que ma soeur, mon frère et moi nous nous laissions tirer avec nos skis sur la route du lac Saint-Jean jusqu'à l'embranchement du chemin du chalet.  Une expérience inoubliable... passible aujourd'hui de je ne sais quelle genre d'amende mais sûrement d'une suspension immédiate du permis de conduire !


Le chalet du lac Brochet en 2004

Nous adorions passer nos étés au chalet.  Nous étions heureux d'y mener une vie rustique:  dormir dans des lits à deux étages,  s'éclairer à la lampe à l'huile,  pomper l'eau du lac, entendre la pluie tomber sur le toit,  chauffer le box stove aux petites heures et dormir sous les épaisses couvertures de la C.I.P.


Dans l'escalier du chalet en 1960




dimanche 2 février 2014

Les Dicaire

Oscar Dicaire et sa famille habitaient une grande maison à deux étages voisine de la nôtre sur la rue Saint-Augustin mais lorsqu'il s'y installa en arrivant à La Tuque, elle n'était pas aussi majestueuse;  la maison plutôt basse n'avait qu'un seul étage avec un toit à quatre faces.

La maison des Dicaire après son agrandissement
Oscar Dicaire, né en 1895, et sa femme Gracia Parent, née en 1897, étaient originaires de la ville d'Hawkesbury en Ontario et s'y sont mariés en 1917.  Oscar travaillait à la Brown depuis 1915 et avait acheté la maison du docteur Vilandry sur la rue Saint-Augustin.

Source:  BAnQ
La Brown en 1913
Gracia Parent était la fille de Joseph Parent et Malvina Meloche.  Quelques années plus tard, son père allait aussi s'établir à La Tuque lorsqu'il y fut nommé Chef de police en 1921.  Jos Parent et sa famille s'installèrent donc dans le logement du poste de police de la rue Commerciale dans la ville où sa fille Gracia habitait déjà avec son mari.


Le chef Jos Parent entouré de ses pompiers
Source:  The Brown Bulletin, novembre 1922
Nora, ma grand-mère maternelle, encore jeune fille et habitant le poste de police, visitait donc sa soeur Gracia, mariée à Oscar Dicaire, et demeurant voisine de mon grand-père paternel Albert Jutras!

Nora Parent, âgée de dix-huit ans, a travaillé comme serveuse lors de l'inauguration du Brown Community Club, le 19 janvier 1922.

Le Brown Community Club
Quelques années plus tard, le chef Jos Parent quitte La Tuque et retourne à Hawkesbury avec sa famille.  Nora Parent, née en 1903, épousera quelques années plus tard Hermas Duplantie et continuera de visiter sa soeur Gracia à La Tuque.  Et c'est ainsi qu'au milieu des années '40, lors de ses visites à La Tuque, Carmen Duplantie, fille de Nora et Hermas, rencontrera Lucien Jutras, fils d'Albert Jutras et Lumina Duval, les voisins d'Oscar Dicaire et Gracia Parent.

Mon grand-père Jutras nous disait avoir eu aussi comme voisin Damien Leroux marié à une autre fille de Jos Parent, Marie-Anne.  Les Leroux s'installèrent par la suite dans une maison à deux étages au coin des rues Saint-Antoine et Saint-Zéphirin. C'est donc dire que mon grand-père a été le voisin pendant quelques temps des deux soeurs Parent, Gracia et Marie-Anne, toutes deux originaires d'Hawkesbury.

Mais revenons aux Dicaire.

Oscar Dicaire travaillait à la Brown et comme il était un excellent joueur de hockey, il fit partie rapidement du club de l'usine, Les Nibroc, à titre de capitaine de l'équipe.  Il signa même un contrat de joueur dans la Quebec Provincial Hockey Ligue.

Source:  Hervé Tremblay
Les LatuKoiseries
Dans leur maison de l'Autre bord du lac, Gracia Parent et Oscar Dicaire eurent dix enfants:  Jacqueline, Marguerite, Madeleine, Eugène, Fernando, Laurent, Lionel, Bernard, Gabriel et Jacques.

Mon père s'était particulièrement lié d'amitié avec Bernard et Gabriel.  Ce dernier était né en 1925 et mon père Lucien en 1926.  Ils allaient à la petite école ensemble mais Gabriel poursuivit ses études jusqu'au Grand Séminaire .

Lucien Jutras et Gabriel Dicaire
Vers 1950
Gabriel Dicaire fut ordonné prêtre en 1953.

Devant l'église Saint-Zéphirin avec ses parents à l'arrière de lui
Oscar Dicaire et Gracia Parent
Peu de gens se souviennent du travail remarquable que le père Gabriel Dicaire O.M.I. a réalisé en Bolivie au début des années '60.  Je me souviens lorsque matante Gracia traversait chez nous en disant à ma mère:  "Carmen, je viens de recevoir une lettre de Gabriel."  J'étais intrigué par le timbre-poste sur l'enveloppe et je trouvais que la Bolivie c'était vraiment loin et que leur grand lac avait un bien drôle de nom.  Je comprenais surtout que Gabriel menait une vie périlleuse et fascinante, moi qui lisais Bob Morane, ça m'impressionnait beaucoup.

Dans la maison des Dicaire il y avait à la cave un atelier de tissage et je crois bien me souvenir qu'il devait y avoir trois métiers basse-lisse qui servaient aux cours que donnait Gracia à ses élèves.  

Au rez-de-chaussée, dans le grand salon, il y avait un piano où mon père, jeune garçon aimait bien aller jouer quelques airs au grand dam de son ami Bernard qui attendait toujours après lui pour aller dehors.  

Lorsque je passais Le Nouvelliste et que le jeudi j'allais me faire payer pour la semaine, c'est Gracia qui s'occupait de moi prétextant que son mari était sourd mais dès qu'elle était partie chercher la monnaie, Oscar me demandait comment ça allait et si j'étais bon à l'école.

Oscar Dicaire et Gracia Parent ont élevé tous leurs enfants sur la rue Saint-Augustin.