Au coeur de l'Autre bord du lac - 1943

Au coeur de l'Autre bord du lac - 1943
Source: BAnQ - détail d'une carte postale 1943 - numérisation Gaston Gravel

samedi 19 avril 2014

La tombola

La tombola du crique Stiud* nous arrivait à la fin de l'été, un dimanche matin, après la messe de 10:00 à la petite église de La Bostonnais.

L'église de La Bostonnais

Une église, toute petite, où tous les bancs étaient achetés et occupés par les gens du village alors que nous, les saisonniers, devions prendre place dans les chaises droites alignées les unes à l'arrière des autres, le long des deux allées latérales.  Et Dieu que c'était long !

Le curé Normandin n'en finissait plus de dire la messe et de réprimander publiquement, pendant son sermon, les paroissiens qu'il considérait à l'évidence comme les siens.  Malgré tout, nous l'aimions bien puisqu'il était notre curé de vacances, qu'il avait les joues roses et que nous avions congé du chanoine Caron et de son vicaire, l'abbé Dauphin.


Le curé Normandin et Jos Giroux
Source:  Appartenance Mauricie

Et puis, une fois déclaré Ite missa est, nous partions en direction de la tombola.  Nous traversions alors le pont couvert de La Bostonnais...


nous longions la rivière jusqu'au petit pont enjambant le crique Stiud...



et là, juste sur la gauche, l'embranchement du chemin menant à une clairière où nous attendaient les jeux, les kiosques et les tables à pique-nique.


La tombola était organisée par le Comité des loisirs, un club récréatif créé par le mouvement coopératif de La Tuque et dont plusieurs employés du magasin Coop faisaient partie.

Mon père Lucien Jutras
première rangée, 4e à partir de la gauche

Ses membres voyaient à la mise en place des kiosques de jeux :  le bingo,  la pêche-surprise et les jeux d'adresse.  Ils les construisaient tous de la même manière:  une structure rudimentaire en bouleau ou en faux-tremble à laquelle de larges bandes de carton kraft de la C.I.P. étaient fixées pour habiller l'ensemble. On pouvait y gagner toutes sortes de prix, des plus inutiles aux plus convoités :  des lampes sur pied, des jeux d'O-K-O, de Milles bornes, des oursons en peluche, des pelles en plastique, des lampes à l'huile, des porte-savons, des brosses pour le dos, des virevents et des objets décoratifs en porcelaine.




Mais ce que nous aimions le plus, c'était toutes ces bouteilles de liqueur qui étaient mises au froid dans le fond du crique:   du KIK, de l'orangeade Nesbitt, du Cream soda et de la liqueur aux fraises.





Un beau jour, les membres du Comité des loisirs décidèrent qu'ils construiraient un grand chalet pour accueillir tout le monde pendant la tombola et à d'autres occasions festives.  Ce fut une corvée mémorable à laquelle nous participions bien humblement et franchement inutilement.


Des bénévoles à l'oeuvre

Mon père Lucien Jutras au centre

Le chalet des loisirs en construction

De gauche à droite:
Michel, Céline, Jacques et Danièle Jutras


Ces journées de tombola ont marqué notre enfance.   Après l'été passé au lac Brochet, nous retournions, le coeur gros, dans notre quartier de l'Autre bord du lac avec nos prix et nos souvenirs de la tombola du crique Stiud.


*  Nous disions le crique Stiud mais en fait il s'agissait d'une déformation sonore du mot Stewart, le nom de cette petite rivière qui se jette dans la rivière Bostonnais.




mercredi 2 avril 2014

Lucien Jutras

Mon père est né à La Tuque, dans la maison de mon grand-père Albert sur la rue Saint-Augustin.

La maison du 372 rue Saint-Augustin


À l'âge de quinze ans, un an après la mort de sa mère, il quitta l'école et entra chez F.-X. Lamontagne où il travailla comme commis.  Il y resta jusqu'en 1945.  Les épouses des patrons de la Brown qui demeuraient sur la rue des Anglais l'aimaient beaucoup;  pour se faire servir, elles demandaient souvent:  "We want Lucian !"

Quincaillerie F.-X.-Lamontagne
Vers 1940

Par la suite, il acheta d'Alberté Fortin, la petite épicerie toute neuve au coin des rues de la Plage et Saint-Augustin.

Carte d'affaires de la petite épicerie
au coin des rues de la Plage et Saint-Augustin
À cette époque, la rue s'appelait "du Lac"

Mon grand-père lui avait dit:  "Lucien, si tu fais crédit, assures-toi de toujours collecter au moins une petite somme par mois sinon, ne fais pas crédit."  Un an plus tard, mon père cédait son commerce!  Il partit alors travailler comme serveur chez Champoux à Saint-Roch-de-Mékinac.


Mon père Lucien Jutras
posant devant l'auberge Champoux

Quand il revint à La Tuque en 1948, il fut engagé à la COOP comme tailleur de vitres et vendeur de peinture, puis il devint assistant-gérant et par la suite gérant du magasin jusqu'en 1962.

Mon père avec son tablier blanc servant une cliente.


Lucien Jutras (première rangée, premier à partir de la gauche)
avec les employés de la Coop
à l'époque où il était assistant-gérant
En 1951, il épousa Carmen Duplantie de Hawkesbury en Ontario.  Ma mère connaissait déjà La Tuque et l'Autre bord du lac puisqu'elle visitait à l'occasion sa tante Gracia, mariée à Oscar Dicaire, dans la maison voisine de celle de mon grand-père Albert Jutras (voir l'article Les Dicaire).


Ma mère avait sans doute remarqué mon père à travers la clôture

En 1962, mon père est entré à la C.I.P au finishing et travailla par la suite à la washroom  Il y demeurera jusqu'en 1987.  Et pendant toutes ces années, en plus de travailler à la C.I.P. et sans doute pour arrondir les fins de mois, mon père a été chauffeur de taxi pour Dubois Taxi, waiter et maître de cérémonie à l'hôtel Windsor et commis chez J.-A.-Bertrand.

À son arrivée à la maison
après sa dernière journée de travail au moulin.

Mon père était très impliqué dans la vie latuquoise.  Il chantait à la messe tous les dimanches, aux funérailles et ainsi qu'aux mariages.  Il a fait partie de l'Harmonie de La Tuque pendant au moins soixante ans et en a été l'archiviste pendant de nombreuses années.  Il y jouait des percussions et faisait partie de plusieurs groupes de musiciens dont le célèbre Orchestre Jumbo!

L'Orchestre Jumbo en 1952
de gauche à droite:  Raymond Chevrette, mademoiselle Gagnon,
Jean-Paul Dompierre et Lucien Jutras

Lors d'une "pratique" de l'Harmonie
au premier étage du marché public de la rue Saint-Antoine
Mon père est debout aux percussions

Il a été entraîneur de hockey et de baseball et fut très actif au sein du mouvement 4H.  Dans les belles années de la COOP, il était membre du Comité des Loisirs et à chaque année, il participait à l'organisation de la tombola au crique "Stiud" de la Bostonnais comme on disait.

Il chantait le Minuit chrétien à la messe de Minuit de l'église Saint-Zéphirin et cela nous éblouissait.

Dans mon recueil l'Autre bord du lac publié en 2011 aux Éditions d'art le Sabord, j'ai écrit un texte sur la passion de mon père pour la musique.


Faire de la musique

Faire de la musique
c’est jouer d’un instrument
sans livre et sans méthode
à l’oreille
c’est ça 
faire de la musique
c’est comme faire à manger
c’est très différent 
de cuisiner

nos voisins d’en face
en faisaient de la musique
souvent sur la galerie d’en avant
après le souper et en famille 
guitare hawaïenne
guitare basse
Night Hawks de père en fils

nos voisins d’à côté aussi
mais à cinq oreilles au lieu de six
pour que ça sonne plus électrique

nous n’étions pas en reste
puisque mon père
jouait des timpanies
de l’accordéon
de la musique à bouche
et aussi des bongos
du piano
du xylophone
et du gazou

il chantait comme Caruso
et se produisait à la messe
aux mariages 
et aux enterrements

mon père faisait de la musique
comme d’autres font du sport
il pratiquait en haut du marché
s’entraînait dans la rue
et montait dans l’arène, à sa manière
pour affronter la foule
au parc Saint-Eugène

Washington Post March
Colonel Bogey
Pump and Circumstance
concert de klaxons
récital de bouteilles vides
patate sel et vinaigre
la vie est belle

mon père faisait de la musique
simplement
les jours de semaine
avec ses amis
le dimanche après-midi
et le soir tranquillement
avant de coucher les enfants

mon père ne jouait pas de la musique
il en faisait


©  Michel Jutras