Le crique Wayagamac, on y allait pour la pêche à la truite en été et pour la petite chasse à l'automne. C'était notre club de chasse et pêche à nous !
J'en parle dans mon carnet parce que le crique Wayagamac faisait partie d'une certaine manière de l'Autre bord du lac. D'abord, il y avait les Fortin juste en face de chez nous et mon ami Jacques qui le connaissait par coeur et puis, le crique Wayagamac c'était interdit... c'était clubé et ça, de l'Autre bord du lac, on aimait beaucoup ça les interdits !
Pêcher au crique Wayagamac n'avait rien à voir avec la pêche au lac Canard ou au lac du Pendu. Le crique Wayagamac, c'était une vraie rivière avec des rapides, des chutes, des bassins et des remous.
Le crique Wayagamac (Wayagamac creek) est la décharge du lac du même nom et en aval du lac Panneton, il porte le nom de Petite Rivière Bostonnais |
Nous partions de la rue Saint-Augustin à bicyclette et nous roulions jusqu'à la ferme chez Berman où nous ramassions nos vers en retournant les roches dans les champs. Comme chez Berman il y avait un refuge pour les chiens, quand ils nous sentaient ou nous voyaient venir, c'était un tel concert de hurlements et d'aboiements qu'on ne traînait pas trop longtemps dans les parages.
La ferme chez Berman Photo: Jean Cantin - 1973 publiée sur La Tuque, des gens, des lieux, des époques |
Puis nous roulions sur le petit chemin qui longeait le lac Panneton, nous passions devant le chalet des Bertrand et après avoir descendu et remonter deux bonnes côtes, et pédaler encore plus vite pour échapper aux deux chiens esquimaux qui nous couraient après, nous arrivions enfin aux chalets "à Lamontagne".
C'est au bout de ce chemin qu'il y avait les chalets "à Lamontagne" avec la vue sur le pont des chars et le crique Wayagamac en contre-bas Photo Michel Jutras - 2014 |
C'est à cet endroit que s'élevaient quelques cabines qui étaient louées comme chalets d'été. En prenant une longue descente à gauche de ces chalets, nous arrivions enfin au crique Wayagamac et c'est là que nous cachions nos bicyclettes.
Et nous partions à pied, en remontant le crique, sautant d'une roche à l'autre, marchant parfois sur le tuyau 44" à demi enfoncé dans un terre-plein et ne s'attardant pas à pêcher car notre objectif c'était le pont des chars que nous apercevions déjà au loin.
Section du crique entre les chalets "à Lamontagne" et le pont des chars |
Photo Michel Jutras - 2014 |
Le pont des chars enjambant le crique Wayagamac Photo: cartespleinair.org |
Et c'est là, sous le pont, que débutait notre pêche. On trouvait d'abord une talle d'aulnes et on coupait deux gaules au bout desquelles nous enroulions de la ligne noire à laquelle on attachait un hameçon, qu'on appelait aussi un ain, et une petite cale. On appâtait avec nos vers de chez Berman et on lançait notre gréement dans le bassin au pied de la chute. Après quelques minutes, nous avions déjà pris nos premières truites de la journée.
Photo: fondationtruite.com |
Crique Wayagamac en aval du pont des chars Probablement lors de la crue printanière Photo: cartespleinair.com |
Variante du mot ain Source: www.archives.sarthe.com |
Et rapidement, arrivait l'heure du lunch. Nous ramassions du petit bois, trouvions de l'écorce de bouleau, allumions un feu sur les rochers au bord du crique et nous faisions cuire quelques truites dans une petite poêle en fer. Quel délice ! Et après, nous fumions nos cigarettes "à la cenne" comme de vieux pêcheurs à l'heure du break.
Après cette pause, nous entreprenions la remontée du crique en pêchant jusqu'aux deux chutes où il y avait un fosse importante et profonde. Ces deux chutes étaient impressionnantes, surtout au printemps.
Voici deux magnifiques photographies de Pierre Leclerc (Les Productions Eaux Vives Québec) qui a accepté bien amicalement qu'elles soient reproduites ici.
Première chute du grand bassin Photo: Pierre Leclerc Les Productions Eaux Vives Québec |
Deuxième chute en amont Photo: Pierre Leclerc Les Productions Eaux Vives Québec |
C'est là aussi que nous pouvions voir les marmites du diable, ces dépressions cylindriques creusées dans le lit du crique par le mouvement de pierres plus petites emportées par le courant dans un mouvement centrifuge sans fin, créant une érosion en forme de marmite. Au fond de ces marmites, lorsque l'eau était basse comme au milieu de l'été, nous pouvions ramasser des roches d'une rondeur presque parfaite.
Exemple de marmite du diable dans le Gard Photo: Hugo Soria, Wikipédia |
Après les deux chutes, nous empruntions souvent le chemin du lac Wayagamac pour aller plus rapidement vers les fosses en amont. Ce chemin, qui en fait était l'emprise de l'ancienne voie ferrée de la ligne La Tuque - Linton, longeait le crique et le lac Wayagamac sur presque toute leur longueur.
Source: BAnQ Fonds Ministère des Terres et Forêts - 1908 |
Et c'est à partir de là qu'il ne fallait pas se faire prendre par les membres du St. Maurice Fish and Game Club qui montaient au lac à bord de leurs Jeep ou de leurs station-wagon.
Jeep Wagoneer 1962 |
Nous avions tellement peur qu'ils s'arrêtent pour nous dire de nous en aller que lorsque nous les entendions venir, nous sautions dans le fossé avec nos gaules et les regardions passer à travers les branches.
Type de pancarte clouée sur les arbres le long du chemin du lac Wayagamac |
Inquiétudes probablement inutiles puisque les limites du club s'arrêtaient au barrage et que le crique n'en faisait pas partie. Mais comme la barrière de celui-ci était en bordure du lac Panneton, nous pensions le contraire.
Après avoir parcouru une certaine distance sur le chemin du lac, nous redescendions le long du crique pour pêcher dans les dernières fosses et les derniers rapides avant le grand bassin en aval du barrage. Et c'est là que nous attrapions nos plus belles truites.
Vue du bassin au pied du barrage Photo: cartespleinair.com |
Parfois, nous nous risquions jusqu'au pied du barrage lui-même, question de montrer que le crique Wayagamac était à nous... jusqu'à sa source !
Nouveau barrage du lac Wayagamac Photo: ministère de l'Environnement |
Après, ce n'était plus chez-nous... c'est là que le tuyau 44" plongeait dans le lac jusqu'à sa prise d'eau.
Photo: L'Écho de La Tuque |
Après le barrage, cette mer qui appartenait à d'autres, s'étirait sur des kilomètres. On disait qu'il y avait, sur ses rives et sur ses îles, des chalets pour millionnaires américains, avec des peaux d'ours polaires comme tapis dans les salons, des coutelleries en or dans les cuisines et des bibliothèques complètes de livres en anglais.
Lac Wayagamac, 1907, William Notman and son Source: Musée McCord |
Lac Wayagamac, 1907, William Notman and son Source: Musée McCord |
Pavillon lac Wayagamac, 1907, William Notman and son Source: Musée McCord |
Chalet principal du St. Maurice Fish and Game Club vers 1940 Source: La Tuque, des gens, des lieux, des époques Photo publiée par Micheline Raîche-Roy |
Je reproduis ici un extrait de mon recueil de petites histoires poétiques publié aux Éditions d'art Le Sabord en 2011. Ce texte s'intitule Wayagamac et comme nos excursions de pêche à la truite au crique Wayagamac faisaient partie de nos activités d'été, j'en ai fait un article pour mon carnet L'Autre bord du lac.
Wayagamac
Le Wayagamac
pas le lac
qui ne nous appartenait pas
mais le crique
qui était à nous
le crique Wayagamac
quelques milles en bicycle
quelques milles en bicycle
la ferme chez Berman
les chalets à Lamontagne
les chalets à Lamontagne
puis enfin le crique
large et tumultueux
jusqu’au pont du fer à cheval
jusqu’au pont du fer à cheval
où se jetait une première chute
à ses pieds
à ses pieds
on fumait nos cigarettes à la cenne
ou celles qu’on avait roulées
avec des restes de tops
ceux de nos oncles
venus fêter la veille
on parlait des filles
et de police délivrance
on coupait nos gaules
dans une talle d’aulnes
on préparait notre ligne
noire
et on prenait
nos premières truites de la journée
et c’est de là
et c’est de là
qu'on montait sur le pont des chars
puis sur le tuyau 44’’
puis sur le tuyau 44’’
jusqu’au chemin du lac Wayagamac
les oreilles dans le crin
les oreilles dans le crin
pour entendre venir les membres
du St. Maurice Fish and Game Club
dans leurs Station Wagon lambrissés de bois
juste à temps pour se garocher dans le fossé
juste à temps pour se garocher dans le fossé
pour ne pas se faire prendre
juste à temps pour ne pas se faire dire
hey ti-gars
c’tun club privé icitte
t’as pas le droit de pêcher
débarrasse
puis à nouveau le crique
plus étroit, plus profond
avec ses passerelles de bois
d’une autre époque, celle de la drave
et là, devant nous
la grande chute
noire, sans fond
celle des marmites du diable
et encore plus haut
et encore plus haut
le petit lac de la décharge
juste au pied du barrage
où étaient les plus belles truites
après
nous le savions
nous le sentions
c’était le grand lac Wayagamac
une mer dans laquelle plongeait
l’immense tuyau alimentant la ville
une mer appartenant à des inconnus
venus d’ailleurs
une mer pour des propriétaires d’hôtel
au nom desquels
le gardien du club
attrapait des truites de douze livres
des truites à faire empailler
des truites pour se vanter
des truites immenses
qui ne valaient pas les nôtres
© Michel Jutras
Salut Michel,
RépondreEffacerl'une de tes plus belles chroniques.... qui m'a ressassé pleins de souvenirs d'enfance... j'y ai vécu +/- la même chose, notamment avec ton beau-frère Yves, mon bon ami d'enfance....
Salut Émile,
EffacerMerci de tes bons commentaires. Je vois Yves la semaine prochaine, je le saluerai de ta part.