Ces petites histoires poétiques ont d'abord été publiées en 2011 aux Éditions d'art Le Sabord sous le titre L'Autre bord du lac. En 2017, ces textes ont été repris sur iBooks dans une édition numérique, accompagnés de photographies et suivis par Rouge fanfare.
Comme la première édition publiée aux Éditions d'art Le Sabord est épuisée, je vous offre aujourd'hui, sur mon blogue, ces petites histoires poétiques.
Les textes et les photos publiés dans cet article sont tirés du recueil L'Autre bord du lac et Rouge fanfare publié sur iBooks dont voici le lien pour y avoir accès gratuitement.
https://itunes.apple.com/ca/book/lautre-bord-du-lac-et-rouge-fanfare/id1225269440?l=fr&mt=11
Voici donc les 10 premiers textes sur 32. Bonne lecture !
Michel Jutras
L'Autre bord du lac
Bibliothèque et Archives Canada Photo Canadien National - 1925 |
On est toujours sur le bord
de quelqu’un ou de quelque chose
du bon bord ou du mauvais bord
au bord de la route ou au bord de la mer
c’est comme ça
aussi avec les lacs
celui dont je parle
était bien mal pris
entre son usine et sa track
entre son église et son école
sans charge ni décharge
on le disait sans fond
un vrai mystère
où des orignaux et des chevaux
s’étaient noyés
sans jamais laisser de trace
l’autre bord du lac
avait vu naître la ville et son premier quartier
dont les rues portaient des noms de saints
Saint-Paul et Saint-Honoré
Saint-Louis et Saint-Augustin
puis au hasard, comme ça
une rue Tessier, de la Plage, Gouin ou Brown
des rues profanes
encerclant les plus sacrées
un quartier de pauvres, d’ouvriers
de petits commerçants, de jobers et de garde-chasses
au pied d’une usine
crachant ses redevances acides
à en brûler les chars
un quartier de maisons à pignons
en bardeaux de cèdre
rouge vin
Canadien National
un quartier
fier de ses sheds et de ses racoins
de ses bums et de ses filles faciles
un quartier
pour l’enfance
et la police délivrance
un quartier avec des côtes à n’en plus finir
des rues à barrage de printemps
et des sidewalk pour les vieux
Pepére
Archives personnelles |
Il ne voulait pas qu’on l’appelle
grand-père
encore moins grand-papa
il aimait mieux
pepére
je ne sais pas pourquoi
il préférait ce nom
mais au fond il lui allait bien
puisque sa chambre
sentait vraiment le vieux
pepére était trapu, lourd et ventru
il avait des mains
comme des pinces monseigneur
et chaussait des bottines Doctor’s
il portait des combinaisons de laine
à l’année longue
disant qu’elles étaient chaudes en hiver
et fraîches en été
dans sa maison de l’autre bord du lac
ma mère était entrée
un an avant la télévision
au bras de son plus jeune fils
le dernier de sa troisième femme
faut dire que pepére
traînait toute une vie
derrière lui
né en1882
au Massachusetts
comme c’était la mode à l’époque
il s’était marié une première fois
et avait eu cinq enfants
puis une deuxième fois
à une veuve qui en avait déjà deux
et avec qui il en eut quatre autres
enfin une dernière fois
avec une femme au nom lumineux
qui en avait déjà eu quatre
et avec qui il en eu cinq de plus
une fois, deux fois, trois fois
adjugé
il avait gagné des enfants
à ne plus savoir où les mettre
et de temps en temps il en donnait un
pour faire de la place aux suivants
pepére avait quitté en 1915 sa terre sudiste
qui ne suffisait plus à la tâche
pour travailler plus au nord
dans un moulin à papier
qui lui avait bien arraché un doigt
mais pas sa fierté
en 1951
après trente-six ans au moulin
six jours par semaine
et le dimanche pour le bon dieu
il prit sa retraite à l’âge de 69 ans
toute sa fortune
était déposée au fond d’une boîte métallique
noire et fermée à clé
que nous avions réussi à ouvrir
ma soeur et moi
pour la refermer aussitôt
en jurant de garder ce grand secret
un jour qu’il avait 82 ans
je le vis
harnaché de chaînes
s’attaquer à une souche
grosse comme ce n’est pas possible
il donnait du torse, des épaules et du cou
comme un cheval de trait
pour vaincre ce tronc d’arbre
que la terre retenait
par ses racines et son histoire de misère
et j’ai compris cette fois-là
pourquoi il voulait qu’on l’appelle
pepére
un grand-père, c’est beaucoup trop fragile
un soir de juillet 1965
après le souper
pepére s’est levé de table
il a prononcé le nom de ma mère
puis s’est écroulé
sur le plancher de la cuisine
abandonnant sa canne
et sa vie
Peau douce
Affiche du film |
Nos deux cinémas nourrissaient des ambitions
puisqu’ils se faisaient passer pour des théâtres
et portaient des noms de César
le Théâtre Empire et le Théâtre Lyric
les samedis matins
Tarzan y occupait pas mal de place
qu’il partageait souvent
programme double oblige
avec Frankenstein et Dracula
on ne se doutait pas
que la révolution n’était pas très loin
puisqu’un jour de 1964
bang
La peau douce de Truffaut
mais malheur
en après-midi
que faire disait Lénine
comme une menterie
à porter sur mon compte
j’ai annoncé à mes parents
que j’allais faire un tour
au pont du Saint-Maurice
et je me suis précipité en enfer
où un vieux monsieur appuyé sur sa canne
en habit noir et chapeau rond
m’a laissé entrer
après avoir été partagé
peu de temps il est vrai
entre la vertu et le profit
Françoise
la soeur de Catherine
était magnifique
Weissmuller et Plummer
exit
mais dans les petites villes
les nouvelles vont vite
surtout celles qu’on voudrait voir au ralenti
je fus dénoncé et privé de bicyclette
pendant une semaine
c’était donc ça le vrai cinéma
Les chiens
Ils s’appelaient Rex et Prince
régnaient sur la côte Saint-Michel
et malgré leurs noms
ils étaient enchaînés
deux chiens, des vrais
forts en gueule
des chiens esquimaux
malheureux et féroces
chacun dans sa cabane
guettant les glisseurs
affamés sans doute
nous en avions peur
autant que des propriétaires
qui nous surveillaient
eux aussi
pour descendre
la côte du milieu était plus safe
celle de côté
toujours plus glacée
beaucoup plus risquée
c’est là qu’ils nous attendaient
ces chiens
qui n’avaient rien demandé
qui ne servaient à rien
ces puckés et ces maltraités
ces mésadaptés sociaux
s’enrageaient de la vie des autres
ces drogués de la chaîne et du choke
n’espéraient au fond qu’une chose
changer de nom pour Noirot
Wayagamac
Le Wayagamac
pas le lac
qui ne nous appartenait pas
mais le crique
qui était à nous
le crique Wayagamac
quelques milles en bicycle
la ferme chez Berman
les chalets à Lamontagne
puis enfin le crique
large et tumultueux
jusqu’au pont du fer à cheval
où se jetait une première chute
à ses pieds
on fumait nos cigarettes à la cenne
ou celles qu’on avait roulées
avec des restes de tops
ceux de nos oncles
venus fêter la veille
on parlait des filles
et de police délivrance
on coupait nos gaules
dans une talle d’aulnes
on préparait notre ligne
noire
et on prenait
nos premières truites de la journée
et c’est de là
qu'on montait sur le pont des chars
puis sur le tuyau 44’’
jusqu’au chemin du lac Wayagamac
les oreilles dans le crin
pour entendre venir les membres
du St. Maurice Fish and Game Club
dans leurs Station Wagon lambrissés de bois
juste à temps pour se garocher dans le fossé
pour ne pas se faire prendre
juste à temps pour ne pas se faire dire
hey ti-gars
c’tun club privé icitte
t’as pas le droit de pêcher
débarrasse
puis à nouveau le crique
plus étroit, plus profond
avec ses passerelles de bois
d’une autre époque, celle de la drave
et là, devant nous
la grande chute
noire, sans fond
celle des marmites du diable
et encore plus haut
le petit lac de la décharge
juste au pied du barrage
où étaient les plus belles truites
après
nous le savions
nous le sentions
c’était le grand lac Wayagamac
une mer dans laquelle plongeait
l’immense tuyau alimentant la ville
une mer appartenant à des inconnus
venus d’ailleurs
une mer pour des propriétaires d’hôtel
au nom desquels
le gardien du club
attrapait des truites de douze livres
des truites à faire empailler
des truites pour se vanter
des truites immenses
qui ne valaient pas les nôtres
Rousse
Elle était rousse
couleur de feu
couleur de braise
rousse
à faire damner les inquisiteurs
elle marchait
au milieu de sa meute
sûre d’elle
vers son école de filles
elle était rousse
jusqu’aux yeux
et derrière ses lunettes
manière noire
elle ne le voyait pas
il en était sûr
une fille
de l’autre bord de la track
ne s’intéresse pas
à un gars de l’autre bord du lac
il était roux
acajou
et marchait seul
vers son école de gars
il était roux
jusqu’aux yeux
et elle en était sûre
il ne la voyait pas
un gars de l’autre bord du lac
ne s’intéresse pas
à une fille de l’autre bord de la track
comme dans une équation
à deux inconnues
leurs chemins et le temps
allaient faire le reste
En chemin
Vingt minutes de marche
quatre fois par jour
quand on a dix ans
c’est assez
pour avoir quelques idées
descendre la rue Saint-Augustin
piquer par le lac
monter la côte entre les maisons
attention
il y a un chien boxer à droite
à droite justement
avant l’église
passer sur la galerie
qui la sépare
de la salle paroissiale
pour déboucher
devant le couvent des soeurs
longer le jardin du presbytère
pisser dans les chaudières
à eau d’érable des curés
c’est toujours ça de pris
faire un doigt d’honneur
va savoir pourquoi
au Chinois blanchisseur
dans sa cabane jaune orange
passer par les grands magasins
pour faire un arrêt
dans le département des jouets
question de Etch-a-sketch
contourner le poste de police
par en arrière
pour voir au travail
la chambre à gaz des chiens errants
faire du lèche-vitrine
devant les quincailleries
pour admirer les couteaux de chasse
les arcs à vingt livres de pression
et les perdrix empaillées
vider les retours de change
des cabines téléphoniques
et tourner les manivelles
des pompes à essence
acheter des négresses
à trois pour une cenne
avec l’argent destiné aux Chinois
tout faire pour ne pas éviter
la flaque d’eau
on dira qu’il a mouillé en haut
continuer en courant
parce qu’on a trop niaisé
passer devant la boulangerie
pour sentir les brioches à la cannelle
longer le mur du collège
jusqu’aux racks à bicycles
tournez à gauche
vous êtes en enfer
Arthur
Arthur
frère mariste de formation
avait hérité de la charge un peu pénible
mais combien gratifiante
d’administrer la strap
à cette race d’insoumis, de baveux et de pas fins
qui battaient souvent pour le plaisir
les petits sans défense
Arthur pratiquait son métier
dans un petit collège au grand nom
dirigé par un frère martinien
dont le ceinturon peinait à la tâche
et dont l’embonpoint était compensé
par la maigreur du frère Arthur
qui n’avait pas de titre
mais une paire de mains
larges
comme celles d’un cultivateur
avec son air de croque-mort
la soutane trop courte
pour un homme si grand
il arpentait les corridors
en quête d’un compte à régler
douce vengeance des petits
que d’entendre la douleur et les cris
de ces grands fendants
qui l’étaient moins après qu’avant
Chez Nil
Chez le barbier Grondin
il y avait des oiseaux en cage
des oiseaux de toutes les couleurs
des bleus, des verts, des jaunes
et même s’ils étaient enfermés toute la journée
ça chantait, piaillait, sifflait
ça menait un train d’enfer
et dieu que c’était joyeux
sur la chaise à cric
surélevée du banc pour les enfants
10 cennes pour la coupe en brosse
et pas d’autre choix avant douze ans
après on traversait chez Nil
où on payait le prix des hommes
25 cennes pour un toupet lisse
un peu plus
pour une coupe Elvis
salle d’attente pour messieurs
revues à coups d’oeil
machine à liqueur
qu’est-ce qu’on est grand
quand on répond
c’est pour une coupe au rasoir
la nuque carrée
et les sides taillés
entendre le bruit de la lame
qu’on aiguise
sur la langue de cuir
sentir le rasoir
dans le cou
et sur les joues
ça coupe
ça amincit
ça tire
brylcreem et vitalis
lotion et sent-bon
La côte de ski
La montagne avait pignon sur rue
face à la ville
effrontée, provocante
et dressée pour le ski
pas le ski de fond
où il faut pousser pour avancer
non
une vraie montagne
pour se laisser aller
se laisser prendre
une montagne
pour le vrai ski
alpin
très jeunes
on s’y risquait avec nos skis chalet
nos attelages en cuir
nos bottines Samson
et nos bâtons à grosses roulettes
plus vieux
équipés de jambes, de mollets et de cuisses
on l’attaquait
avec nos Blizzard Metall
montés Nevada Marker
et nos bottes Trappeur
c’était notre mont Sainte-Anne à nous
avec ses journées de ski de printemps
ses donneurs de T
ses niveleurs de pistes
ses contrôleurs de tickets
ses patrouilleurs à filles
sa tour des gardes-feu
ses heures de chalet
son juke-box pour Nino
ses divans à caresses
et ses toilettes pour histoires de vitesse
une côte de ski avec un pit
son cap de roches au centre
toujours de glace
son côté jardin
pour le style
et son côté cour
pour les intrépides
les spatules dans le vide
vue sur la ville
fumée des cheminées
c’est lancé
yeux qui pleurent
vent qui gèle
mollets qui brûlent
cuisses qui chauffent
skis collés
épaules désaxées
coeur qui bat
souffle court
ça descend
ça godille
ça va vite
la pente douce attend
pour se laisser prendre
doucement
est-ce qu’elle me regarde
Les chiens
Source: Pixabay, photo par JuniorMp sous licence Creative Commons - Domaine public |
Ils s’appelaient Rex et Prince
régnaient sur la côte Saint-Michel
et malgré leurs noms
ils étaient enchaînés
deux chiens, des vrais
forts en gueule
des chiens esquimaux
malheureux et féroces
chacun dans sa cabane
guettant les glisseurs
affamés sans doute
nous en avions peur
autant que des propriétaires
qui nous surveillaient
eux aussi
pour descendre
la côte du milieu était plus safe
celle de côté
toujours plus glacée
beaucoup plus risquée
c’est là qu’ils nous attendaient
ces chiens
qui n’avaient rien demandé
qui ne servaient à rien
ces puckés et ces maltraités
ces mésadaptés sociaux
s’enrageaient de la vie des autres
ces drogués de la chaîne et du choke
n’espéraient au fond qu’une chose
changer de nom pour Noirot
Wayagamac
Photo: Michel Jutras |
Le Wayagamac
pas le lac
qui ne nous appartenait pas
mais le crique
qui était à nous
le crique Wayagamac
quelques milles en bicycle
la ferme chez Berman
les chalets à Lamontagne
puis enfin le crique
large et tumultueux
jusqu’au pont du fer à cheval
où se jetait une première chute
à ses pieds
on fumait nos cigarettes à la cenne
ou celles qu’on avait roulées
avec des restes de tops
ceux de nos oncles
venus fêter la veille
on parlait des filles
et de police délivrance
on coupait nos gaules
dans une talle d’aulnes
on préparait notre ligne
noire
et on prenait
nos premières truites de la journée
et c’est de là
qu'on montait sur le pont des chars
puis sur le tuyau 44’’
jusqu’au chemin du lac Wayagamac
les oreilles dans le crin
pour entendre venir les membres
du St. Maurice Fish and Game Club
dans leurs Station Wagon lambrissés de bois
juste à temps pour se garocher dans le fossé
pour ne pas se faire prendre
juste à temps pour ne pas se faire dire
hey ti-gars
c’tun club privé icitte
t’as pas le droit de pêcher
débarrasse
puis à nouveau le crique
plus étroit, plus profond
avec ses passerelles de bois
d’une autre époque, celle de la drave
et là, devant nous
la grande chute
noire, sans fond
celle des marmites du diable
et encore plus haut
le petit lac de la décharge
juste au pied du barrage
où étaient les plus belles truites
après
nous le savions
nous le sentions
c’était le grand lac Wayagamac
une mer dans laquelle plongeait
l’immense tuyau alimentant la ville
une mer appartenant à des inconnus
venus d’ailleurs
une mer pour des propriétaires d’hôtel
au nom desquels
le gardien du club
attrapait des truites de douze livres
des truites à faire empailler
des truites pour se vanter
des truites immenses
qui ne valaient pas les nôtres
Rousse
Photo: Michel Jutras |
Elle était rousse
couleur de feu
couleur de braise
rousse
à faire damner les inquisiteurs
elle marchait
au milieu de sa meute
sûre d’elle
vers son école de filles
elle était rousse
jusqu’aux yeux
et derrière ses lunettes
manière noire
elle ne le voyait pas
il en était sûr
une fille
de l’autre bord de la track
ne s’intéresse pas
à un gars de l’autre bord du lac
il était roux
acajou
et marchait seul
vers son école de gars
il était roux
jusqu’aux yeux
et elle en était sûre
il ne la voyait pas
un gars de l’autre bord du lac
ne s’intéresse pas
à une fille de l’autre bord de la track
comme dans une équation
à deux inconnues
leurs chemins et le temps
allaient faire le reste
En chemin
Photo: Michel film studio Montréal 1945 |
Vingt minutes de marche
quatre fois par jour
quand on a dix ans
c’est assez
pour avoir quelques idées
descendre la rue Saint-Augustin
piquer par le lac
monter la côte entre les maisons
attention
il y a un chien boxer à droite
à droite justement
avant l’église
passer sur la galerie
qui la sépare
de la salle paroissiale
pour déboucher
devant le couvent des soeurs
longer le jardin du presbytère
pisser dans les chaudières
à eau d’érable des curés
c’est toujours ça de pris
faire un doigt d’honneur
va savoir pourquoi
au Chinois blanchisseur
dans sa cabane jaune orange
passer par les grands magasins
pour faire un arrêt
dans le département des jouets
question de Etch-a-sketch
contourner le poste de police
par en arrière
pour voir au travail
la chambre à gaz des chiens errants
faire du lèche-vitrine
devant les quincailleries
pour admirer les couteaux de chasse
les arcs à vingt livres de pression
et les perdrix empaillées
vider les retours de change
des cabines téléphoniques
et tourner les manivelles
des pompes à essence
acheter des négresses
à trois pour une cenne
avec l’argent destiné aux Chinois
tout faire pour ne pas éviter
la flaque d’eau
on dira qu’il a mouillé en haut
continuer en courant
parce qu’on a trop niaisé
passer devant la boulangerie
pour sentir les brioches à la cannelle
longer le mur du collège
jusqu’aux racks à bicycles
tournez à gauche
vous êtes en enfer
Arthur
Soure: archives Frères Maristes |
Arthur
frère mariste de formation
avait hérité de la charge un peu pénible
mais combien gratifiante
d’administrer la strap
à cette race d’insoumis, de baveux et de pas fins
qui battaient souvent pour le plaisir
les petits sans défense
Arthur pratiquait son métier
dans un petit collège au grand nom
dirigé par un frère martinien
dont le ceinturon peinait à la tâche
et dont l’embonpoint était compensé
par la maigreur du frère Arthur
qui n’avait pas de titre
mais une paire de mains
larges
comme celles d’un cultivateur
avec son air de croque-mort
la soutane trop courte
pour un homme si grand
il arpentait les corridors
en quête d’un compte à régler
douce vengeance des petits
que d’entendre la douleur et les cris
de ces grands fendants
qui l’étaient moins après qu’avant
Chez Nil
Chez le barbier Grondin
il y avait des oiseaux en cage
des oiseaux de toutes les couleurs
des bleus, des verts, des jaunes
et même s’ils étaient enfermés toute la journée
ça chantait, piaillait, sifflait
ça menait un train d’enfer
et dieu que c’était joyeux
sur la chaise à cric
surélevée du banc pour les enfants
10 cennes pour la coupe en brosse
et pas d’autre choix avant douze ans
après on traversait chez Nil
où on payait le prix des hommes
25 cennes pour un toupet lisse
un peu plus
pour une coupe Elvis
salle d’attente pour messieurs
revues à coups d’oeil
machine à liqueur
qu’est-ce qu’on est grand
quand on répond
c’est pour une coupe au rasoir
la nuque carrée
et les sides taillés
entendre le bruit de la lame
qu’on aiguise
sur la langue de cuir
sentir le rasoir
dans le cou
et sur les joues
ça coupe
ça amincit
ça tire
brylcreem et vitalis
lotion et sent-bon
La côte de ski
Source: Appartenance Mauricie et SHLT |
La montagne avait pignon sur rue
face à la ville
effrontée, provocante
et dressée pour le ski
pas le ski de fond
où il faut pousser pour avancer
non
une vraie montagne
pour se laisser aller
se laisser prendre
une montagne
pour le vrai ski
alpin
très jeunes
on s’y risquait avec nos skis chalet
nos attelages en cuir
nos bottines Samson
et nos bâtons à grosses roulettes
plus vieux
équipés de jambes, de mollets et de cuisses
on l’attaquait
avec nos Blizzard Metall
montés Nevada Marker
et nos bottes Trappeur
c’était notre mont Sainte-Anne à nous
avec ses journées de ski de printemps
ses donneurs de T
ses niveleurs de pistes
ses contrôleurs de tickets
ses patrouilleurs à filles
sa tour des gardes-feu
ses heures de chalet
son juke-box pour Nino
ses divans à caresses
et ses toilettes pour histoires de vitesse
une côte de ski avec un pit
son cap de roches au centre
toujours de glace
son côté jardin
pour le style
et son côté cour
pour les intrépides
les spatules dans le vide
vue sur la ville
fumée des cheminées
c’est lancé
yeux qui pleurent
vent qui gèle
mollets qui brûlent
cuisses qui chauffent
skis collés
épaules désaxées
coeur qui bat
souffle court
ça descend
ça godille
ça va vite
la pente douce attend
pour se laisser prendre
doucement
est-ce qu’elle me regarde
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