Au coeur de l'Autre bord du lac - 1943

Au coeur de l'Autre bord du lac - 1943
Source: BAnQ - détail d'une carte postale 1943 - numérisation Gaston Gravel

samedi 30 novembre 2013

Les Fortin

Au milieu des années '50, Clément Fortin, bûcheron, trappeur, prospecteur et garde-chasse, fit bâtir sa maison juste en face de celle des Mercier, en biais avec la nôtre, sur la rue Saint-Augustin.  Il était marié à Rita Tremblay et ensemble, ils eurent dix enfants: Jean-Raymond, Normand, Yvon, Marc-André, Claudette, Jacques, Francine, Gilles, Pierre et Denis.

Même s'il était un peu plus vieux que moi, Jacques était mon meilleur ami.  C'est lui qui m'a montré à pêcher la truite, à tendre des collets et reconnaître la pie à son cri.  En été, nous allions pêcher au crique Wayagamac.  Nous partions à bicyclette et nous nous rendions jusqu'aux chalets à Lamontagne et ensuite à pied, le long du crique jusqu'à la dam du grand lac.  L'automne nous tendions nos collets à lièvre dans une petite savane entre la voie ferrée et le chemin du lac, juste avant le tunnel.

Source:  Musée McCord
Photo Studio Notman vers 1916

Chez les Fortin, dans la cour arrière, il y avait une shed qui servait aux activités de trappe de la famille.  Monsieur Fortin avait son bureau de garde-chasse au sous-sol de sa maison.  On y avait accès par la porte sur le côté.  C'est là que nous achetions nos permis de pêche et de chasse et à chaque fois, j'étais intimidé par sa prestance et sans doute impressionné par sa dignité.  Pendant la saison de la chasse, il y avait un va-et-vient continuel de chasseurs en face de chez nous.

Comme garde-chasse, Clément Fortin patrouillait son territoire dans sa vieille Ford du début des années '50.  C'était avant l'époque des pick up fournis par le gouvernement.  Un beau jour mon ami Jacques me dit:  "Ça te tentes-tu, mon père nous amène sur la rivière Jeannotte."  Nous sommes partis avec lui par des chemins forestiers jusqu'à la rivière où il nous a laissés pour pêcher.  Au retour de sa ronde, nous avions déjà pris quelques belles truites et ce fut la pause pour le lunch.  Monsieur Fortin entra dans le bois en bordure du chemin et revint avec une grosse boîte de conserve vide à laquelle il avait attaché une broche qui servait de poignée.  Il la remplie d'eau de la rivière, alluma un feu et prépara le thé.  Sans doute que Clément Fortin avait tout un réseau de théières improvisées le long des chemins qu'il patrouillait comme garde-chasse.

 Maison des Fortin rue Saint-Augustin
au fonds de la cour arrière:  la shed qui m'a inspiré le texte Dernier tableau


Dernier tableau

Il fallait monter sur un drum de 45 gallons
pour voir quelque chose
à travers cette fenêtre
qui avait toujours été trop haute

la lumière était blafarde, presque froide
pourtant la truie chauffait bien
puisqu'elle avait le ventre rouge

ce châssis servait d'encadrement à un tableau
où des castors à moitié plemés
montaient la garde
devant des peaux de loutres, de visons et de belettes
tendues et clouées sur leurs gabarits
alors que des lièvres pendus à leur gibet
observaient la scène

accrochées au plafond
des glandes de toutes sortes, séchées ou gluantes
attendaient de servir la mâle séduction

puis, dans un coin
un gros chat couché sur le côté
avec des oreilles pointues et poilues
et des pattes trop longues
un lynx

sur l'établi, qu'est-ce que c'est
des oreilles, celles d'un loup
la preuve qu'on l'a bien tué
cinq piastres la paire
inutile de rapporter la bête

le long des murs
la quincaillerie était exposée
des pièges à pattes qui font souffrir
des conibear qui cassent le cou
net
des collets qui étouffent
et des trappes qui enferment vivant

la shed était l’atelier d’un artiste
la scène, son dernier tableau


©  Michel Jutras


Jacques faisait aussi de la musique avec son père et ses frères sur la galerie à l'avant de leur maison de la rue Saint-Augustin.  Je me souviens que monsieur Fortin jouait particulièrement bien de la guitare "hawaïenne".  Mon ami Jacques était guitariste dans l'orchestre Les Nighthawks. 


Les Nighthawks avec Hjalmar Bardslokken, Raymond Fortin, Claude Lépine, Réjean Pilon et Jacques Fortin
Source:  Jean Cantin

Clément Fortin est décédé en 2003.


mercredi 27 novembre 2013

Leonard Ferguson

À l'âge de 8 ans, j'ai reçu à Noël ma première paire de ski:  des "Chalet" en bois avec des attelages à ressort et sans "steel edge"!  Quant aux bottes de ski de marque Samson, elles étaient en cuir noir assez souple pour pouvoir marcher avec.  Comme nous restions de l'autre bord du lac, ce détail était important puisqu'il me fallait aller à pied avec skis, bâtons et bottes aux pieds jusqu'à la montagne, ce qui faisait exactement 1,7 km à l'aller comme au retour.

Avec mon père Lucien Jutras à l'hiver 1960-1961

Je raconte cette histoire pour en introduire une autre.  

J'adorais le ski et j'y allais aussi souvent que je le pouvais.  En plus de mon père, un autre skieur demeurait dans notre quartier et il aimait beaucoup le ski lui-aussi.  Il me voyait souvent partir avec mes skis et mes bâtons et monter la côte Saint-Louis.  Un beau jour, il s'arrêta à ma hauteur avec sa Volkswagen Beetle et me dit: "Mets tes skis à l'arrière et monte."  Il l'a fait de nombreuses années par la suite, en fait aussi souvent qu'il le pouvait.  Il s'appelait Leonard Ferguson.  

Leonard Ferguson était marié à Gabrielle Morin et ils n'avaient pas d'enfant.  Leonard Ferguson était un excellent skieur.  Il avait des skis magnifiques, des Rossignol en bois laminé double épaisseur sur la partie centrale.  Il portait toujours des knickers, des bas à côtes et un gilet scandinave.  

Quelques semaines plus tard il me demanda ceci: "Est-ce que tu aimerais ça avoir une case au chalet pour mettre tes skis?"  Je lui répondis que oui bien sûr mais que c'était trop cher.  Leonard Ferguson m'offrit alors de partager la sienne.  La case numéro 2, juste au pied de l'escalier du chalet, juste à côté de celles des meilleurs skieurs et skieuses de la ville.  J'ai partagé la case de Leonard Ferguson pendant des années et je me suis toujours souvenu de lui, de sa générosité et de son style de ski.

Leonard Ferguson habitait une belle maison toute blanche à deux étages dans le pied de la côte Saint-Louis, à l'angle de la rue de la Plage.

lundi 25 novembre 2013

Nos maisons

Les maisons anciennes de l'Autre bord du lac étaient pour la plupart des maisons à pignons en bardeaux de cèdre.  Habituellement elles n'étaient pas très grandes, souvent 24' x 24', et comportaient une cuisine (la pièce principale) jouxtant un salon minuscule, une chambre des parents s'ouvrant par des portes doubles sur le salon et une salle de toilette logée sous l'escalier donnant accès au premier étage comprenant deux chambres.  Au fil des ans, on leur ajoutait souvent une annexe pour agrandir la cuisine et y installer plus de commodités dont une salle de bain.


Maison du 372 rue Saint-Augustin

Ces maisons étaient peintes d'une couleur rouge vin qui ressemblait drôlement à la couleur des bâtiments du Canadien National.  Elles étaient ceinturées d'une grande galerie à l'avant se prolongeant sur le côté et sous laquelle se trouvait "le trou de la cave", c'est-à-dire l'entrée par laquelle nous pouvions accéder à la cave elle-même.  Cette cave avait aussi son accès intérieur:  une trappe pratiquée dans le plancher de la cuisine ou au fonds d'un rangement que l'on pouvait soulever et retenir ouverte par un crochet;  celle-ci débouchait sur une échelle plus qu'un escalier pour aller à la cave.

Dans mon livre L'Autre bord du lac, j'ai écrit un texte sur les caves de nos vieilles maisons que j'ai intitulé L'établi.  Enfants, nous y passions des heures et des heures.  Nous y fabriquions tout ce qui allait servir nos jeux et nos mauvais coups par la suite.

L'établi qui a inspiré le texte du même nom.

Ces maisons construites entre 1910 et 1920 étaient isolées avec du bran de scie qui se tassait bien évidemment au fil des ans, de telle sorte que les chambres à l'étage étaient souvent froides en hiver.  Les systèmes de chauffage central n'existaient pas ou peut-être que nos grands-parents n'en avaient tout simplement pas les moyens.  Toutefois, ils réussissaient à se débrouiller assez bien malgré tout.  

La nôtre, par exemple, était chauffée grâce à un poêle en fonte, un "box stove" comme on disait, installé dans la cave et emmuré d'une chape de ciment.  L'ensemble finissait par accumuler assez de chaleur pour que celle-ci monte au rez-de-chaussée par une grille pratiquée dans le plancher de celui-ci et une autre dans celui de l'étage.  Selon la croyance populaire ou scientifique, la chaleur finit toujours par monter mais je peux témoigner que cette loi a ses limites et que certains soirs d'hiver, ça prenait pas mal de couvertures de laine pour "s'abriller".  Il y avait bien sûr un poêle à l'huile dans la cuisine dont on allumait les "ronds" avec une mèche au bout d'une grande tige métallique mais il servait surtout à faire la cuisine.

Quand le chauffage central à air pulsé est entré dans la maison, ce fut le paradis !

Jusqu'au début des années '40, il n'était pas rare que le salon et la chambre principale de ces petites maisons servaient à exposer le corps des membres de la famille décédés.  Ce fut le cas de ma grand-mère paternelle, Lumina Duval, décédée à l'automne 1940.  Notre petite maison fut transformée en salon funéraire.  Mon grand-père Albert fit installer des portes doubles entre sa chambre et le petit salon pour permettre d'y exposer le corps de sa femme et d'y recevoir parents et amis.  Mon père, alors âgé de quatorze ans, son frère et ses soeurs dormant (ou si peu) dans leurs chambres à l'étage alors que leur mère reposait dans sa chambre ouverte sur le salon...

dimanche 24 novembre 2013

Lucien Jutras et Carmen Duplantie

En 1951, Lucien Jutras, né à La Tuque en 1926 dans la maison de son père de la rue Saint-Augustin, prend pour épouse Carmen Duplantie née la même année à Hawkesbury en Ontario

Lucien Jutras 1944

 Carmen Duplantie 1945

Carmen Duplantie et Lucien Jutras 1951

Ils habiteront la maison du 372 rue Saint-Augustin et y auront leurs cinq enfants:  Michel, Céline, Jacques, Danièle et Lucie.  Mon grand-père Albert Jutras habitera sa maison avec nous tous jusqu'en 1965.



Cette photo date de 1952.  Elle a été prise dans la cour arrière de la maison de la rue Saint-Augustin.  On y voit le hangar de nos voisins les Mercier et la clôture de poteaux de fer habituelle des cours arrières du quartier.


Mon père, comme beaucoup de Latuquois, aimait le ski alpin.  On le voit ici posant fièrement dans la cour arrière de la maison familiale.  On distingue encore une fois le hangar des Mercier mais aussi la coquète petite remise de la famille Hayes, nos voisins de la rue Saint-Louis.  Les skis sont en bois et les bâtons en métal.  On skiait même avec chemise et cravate !  Photo prise à l'hiver 1952.



Nous apercevons sur cette photo une partie de l'Autre bord du lac avec une vue partielle de la maison de Léger Martel (une auto est stationnée dans l'entrée latérale) et celle d'Odilon Lajoie à l'arrière avec son toit en pente et sa cheminée.  Plus à l'ouest, une partie de la rue Tessier et des maisons qui la longeaient du côté est.  L'auto de mon père est une Dodge du début des années '50.


Ma mère, Carmen Duplantie, avec ses trois premiers enfants, (de gauche à droite) Michel, Jacques et Céline.  Cette photo a été prise en 1957 dans le Temps des Fêtes vu le sapin planté dans la neige pour l'occasion.

samedi 23 novembre 2013

Plan des rues et bâtiments - 1955

Voici un plan des rues, maisons et bâtiments de l'Autre bord du lac réalisé par Underwriters' Survey Bureau limited en 1955.

Source:  BAnQ
Insurance plan of the town of La Tuque, 1955, éditeur : Underwriters' Survey Bureau Limited 

Au centre, dans le prolongement de la rue Saint-Augustin, on aperçoit la petite école Saint-Michel (en bleu sur le plan).

À droite, au coin des rues Saint-Louis et de l'avenue Brown, la vieille fonderie identifiée sur le plan comme la Foundry Power & Light.  Nous y allions souvent pour voir par les fenêtres les fours incandescents.  Nous y dérobions à l'occasion de la broche et des tiges de fer que nous rapportions fièrement à la maison comme les chats le font avec les souris qu'ils attrapent et qu'ils laissent sur le pas de la porte pour épater leur maître.  Nous l'avons vue brûler et disparaître de notre paysage je crois à la fin des années '50.

Au coin des rue Saint-Augustin et de la Plage, la petite épicerie du quartier y apparaît.   Par contre, la maison de Clément Fortin sur la rue Saint-Augustin, en face de celle des Mercier et en biais avec la nôtre, n'est pas encore construite.  


jeudi 21 novembre 2013

Vue d'ensemble


Vue d'ensemble 1943  source:  BAnQ
Cette reproduction d'une carte postale portant le titre Tennis - La Tuque (source BAnQ) illustre parfaitement le quartier de mon enfance, de l'autre bord du lac Saint-Louis, comprenant les rues Saint-Augustin, Saint-Honoré, Saint-Paul, Saint-Michel, Saint-Louis, Gouin, Brown et Tessier. 

Identification des deux joueuses par Madeleine Cloutier:  Alberta Jutras (à gauche) et Jeanne d'Arc Dicaire (à droite).

Détail rue Saint-Augustin
On y voit clairement la petite école Saint-Michel sur la butte du même nom et on aperçoit la fonderie en retrait à sa droite.  La petite épicerie du coin Saint-Augustin et de la Plage n'est pas encore construite alors que l'on distingue sur un terrain vague, une petite maison qui était habitée par une famille pas très riche.


Détail rue Saint-Paul
Voyez la maison avec le toit en pente au coin des rues Saint-Paul et de la Plage, elle n'a pratiquement pas changé jusqu'à tout récemment.

Photo Michel Jutras - 2012

mercredi 20 novembre 2013

L'Autre bord du lac (extrait)


L’autre bord du lac

On est toujours sur le bord
de quelqu’un ou de quelque chose
du bon bord ou du mauvais bord

au bord de la route ou au bord de la mer
c’est comme ça 
aussi avec les lacs

celui dont je parle
était bien mal pris
entre son usine et sa track
entre son église et son école

sans charge ni décharge
on le disait sans fond
un vrai mystère
où des orignaux et des chevaux
s’étaient noyés
sans jamais laisser de trace

l’autre bord du lac
avait vu naître la ville et son premier quartier
dont les rues portaient des noms de saints 
Saint-Paul et Saint-Honoré 
Saint-Louis et Saint-Augustin

puis au hasard, comme ça
une rue Tessier, de la Plage, Gouin ou Brown
des rues profanes
encerclant les plus sacrées

un quartier de pauvres, d’ouvriers
de petits commerçants, de jobers et de garde-chasses
au pied d’une usine 
crachant ses redevances acides
à en brûler les chars

un quartier de maisons à pignons
en bardeaux de cèdre
rouge vin
Canadien National

un quartier
fier de ses sheds et de ses racoins
de ses bums et de ses filles faciles

un quartier 
pour l’enfance
et la police délivrance

un quartier avec des côtes à n’en plus finir
des rues à barrage de printemps


et des sidewalk pour les vieux


©  Michel Jutras

Publication du recueil "L'Autre bord du lac"

Au mois de mars 2011, j'ai publié aux Éditions d'art Le Sabord L'Autre bord du lac, un recueil de trente petites histoires poétiques qui racontent l'univers d'un jeune garçon à La Tuque et sa vie au milieu d'un quartier ouvrier, à l'ombre d'une usine de pâtes et papiers.  Le lancement a eu lieu à l'ouverture du Salon du livre de Trois-Rivières le 27 mars 2011 et à La Tuque le 27 juin de la même année.