Pour un flo de l'Autre bord du lac, avoir sa run du Nouvelliste, c'était quelque chose ! J'ai obtenu la mienne en 1962 à l'âge de dix ans quand André Duchesneau, qui demeurait sur la rue Saint-Louis, n'en voulait plus. Soixante-neuf journaux à livrer tous les matins avant d'aller à l'école et le samedi alors que le journal pesait le double de son poids habituel à cause du Perspectives.
Soixante-neuf journaux distribués dans une suite logique et immuable.
Les rues de ma run |
On part, il est 6:30 du matin ...
1. chez Oscar Dicaire à côté de chez-nous et qui était sourd à temps partiel
2. en haut, dans un petit logement, chez François Frigon
3. on coupe à travers le champ et on sort entre les sheds, rue Saint-Louis, chez madame Déry au sous-sol
5. et en haut au premier étage
6. et on remonte la côte, chez Marcien Duchesneau
7. chez les Hayes, on livre en haut et on se fait payer à la cave
8. chez Éva Paré qui était standardiste chez Dubois Taxi
9. on traverse de l'autre côté de la rue, chez Arthur Corriveau
10. et on revient chez le barbier Séguin qui opérait son salon à l'arrière de l'hôtel Saint-Roch
Maison de Éva Paré Photo: Michel Jutras - 2014 |
9. on traverse de l'autre côté de la rue, chez Arthur Corriveau
10. et on revient chez le barbier Séguin qui opérait son salon à l'arrière de l'hôtel Saint-Roch
11. chez les Aubé juste à côté
12. et finalement chez les Châteauneuf sur le coin de la rue
12. et finalement chez les Châteauneuf sur le coin de la rue
13. puis on redescend la rue Saint-Michel, chez les Guillemette et mon ami André
14. et chez Émile Paré qui me demandait toujours, le jour de la collecte: "Veux-tu que je signe en anglais"
Maison de Émile Paré Photo: Michel Jutras - 2014 |
15. et on revient sur ses pas en remontant la rue Saint-Michel, chez les Béland au coin Saint-Louis
16. de l'autre côté de la rue, chez monsieur Bourassa
17. et on retraverse chez les Déziel, rue Saint-Michel
18. et on tourne à droite sur l'avenue Brown, chez Florence Tremblay qui connaissait le mot pourboire
19. chez la police Gérald Tremblay
20. et juste à côté chez une dame aux ongles très longs et bien manucurés
21. chez Léo Lebel qui tenait un petit restaurant-dépanneur avec machines-à-boules
22. chez les Thibeault
23. puis sur la rue Gouin, chez Vallée au premier étage d'une maison adossée à la voie ferrée
Maison des Thibeault Photo: Michel Jutras - 2014 |
23. puis sur la rue Gouin, chez Vallée au premier étage d'une maison adossée à la voie ferrée
24. chez les Arpin
26. chez les Rochette où il y avait un vrai studio de télévision (RALT-TV)
27. chez les Olsen juste en face
28. et retour sur la rue Saint-Louis, chez Léonard Ferguson
29. et chez sa soeur qui habitait au premier et que je ne voyais jamais parce qu'elle laissait toujours l'argent pour la semaine sur la deuxième marche qui montait à son logement
28. et retour sur la rue Saint-Louis, chez Léonard Ferguson
Maison des Ferguson Photo: Michel Jutras - 2014 |
29. et chez sa soeur qui habitait au premier et que je ne voyais jamais parce qu'elle laissait toujours l'argent pour la semaine sur la deuxième marche qui montait à son logement
30. chez Thériault juste en face
31. et on descend la rue de la Plage, chez Armand Lortie
32. puis chez Eugène Martel qui me payait tout le temps en cennes noires
33. chez son frère Léger et son épouse tellement charmante
Maison de Léger Martel Photo: Michel Jutras - 2014 |
34. puis on remonte la rue Saint-Paul, chez Odilon Lajoie qui payait à l'année
35. chez les Beaumont
Maison de Odilon Lajoie Photo: Michel Jutras 0214 |
35. chez les Beaumont
36. et chez les Thivierge au-dessus
37. chez les Marcotte
38. chez les Bérubé dont Neil, mon ami, qui avait un bicycle avec des tires ballounes
39. chez les Girard
40. de l'autre côté de la rue, chez madame Lucien Lortie
41. puis au premier étage de la même maison
42. et on redescend Saint-Michel, chez le vieux monsieur Larouche qui s'appliquait tellement bien à apposer sa signature dans le calepin brun du Nouvelliste au son du tic-tac de sa vieille horloge
Maison des Lortie Photo: Michel Jutras - 2014 |
41. puis au premier étage de la même maison
42. et on redescend Saint-Michel, chez le vieux monsieur Larouche qui s'appliquait tellement bien à apposer sa signature dans le calepin brun du Nouvelliste au son du tic-tac de sa vieille horloge
43. chez Jean-Marie Girard qui était boucher de profession
44. et chez une autre famille de Girard juste en face
45. et à l'étage, chez les Bérubé dont Nelson avait mon âge
45. et à l'étage, chez les Bérubé dont Nelson avait mon âge
46. finalement, on remonte la rue Saint-Augustin, chez le vieux monsieur Tremblay
47. chez Armand Charland qui payait au mois
Maison de monsieur Tremblay Photo: Michel Jutras - 2014 |
47. chez Armand Charland qui payait au mois
48. chez Léo Boutet où il y avait tellement de filles dans la maison
Maison de Léo Boutet Photo: Michel Jutras - 2014 |
49. chez madame Desroches dont le mari était décédé dans un gros accident au volant de sa Desoto
50. chez les Beaudin qui était d'une autre religion
51. chez John O'Farrell dont l'épouse nous surveillait tout le temps en écartant le rideau de son salon
52. chez la police Dion au-dessus
Maison de John O'Farrell Photo: Michel Jutras - 2014 |
52. chez la police Dion au-dessus
53. chez Paulo Fortin au sous-sol
54. et juste à côté, chez Clément Fortin et mon ami Jacques
54. et juste à côté, chez Clément Fortin et mon ami Jacques
55. chez les Mercier et ma voisine Évelyne
Et on repart avec les journaux pour la côte Saint-Louis
57. chez Ovide Gauthier
59. chez Albert Parent dans le même bloc
60. chez les Girard, au fonds de la cour
61. chez les Cayer qui restaient dans l'ancienne maison d'Arthur Dubord
62. chez les Dufresne
63. chez Eutrope Landry
64. chez les Dufour de l'autre côté de la rue
65. dans une des petites maisons jumelles
66. chez les Fortier
65. dans une des petites maisons jumelles
Les jumelles Photo: Michel Jutras - 2014 |
66. chez les Fortier
Maison des Fortier Photo: Michel Jutras - 2014 |
67. et dans une masure qui n'existe plus dans le fonds de la cour
68. puis au rez-de-chaussée d'une maison à logement
69. et le dernier au comptoir du restaurant le Pignon Rouge
69. et le dernier au comptoir du restaurant le Pignon Rouge
C'est terminé pour ce matin. Faut maintenant continuer jusqu'au collège Saint-Zéphirin !
Le samedi, je feuilletais le Perspectives tout en livrant mes journaux et la page qui m'intéressait le plus était évidemment celle consacrée aux joueurs de hockey de la Ligue Nationale. Il y en avait une par semaine et je les collectionnais toutes.
Page du magazine Perspectives 1962 |
Le jeudi, à chaque semaine à l'heure du souper, c'était jour de collection. Il fallait faire le tour de tous nos abonnés et leur réclamer le prix de la semaine.
Quand j'ai commencé en 1962, le tarif était de 0,35$ par semaine et j'avais 69 abonnés. Je revenais de ma collection les poches lourdes de petit change.
Nous devions consigner dans un calepin brun, et sur la page de chaque abonné, le paiement reçu et celui-ci devait y apposer sa signature. La plupart me laissait un pourboire de 5 cents. Quelques-uns ne me laissaient rien. La plus généreuse était Florence Tremblay de l'avenue Brown. Elle qui travaillait dans un restaurant de la rue Saint-Louis près de la gare connaissait bien le mot pourboire et il n'était pas rare qu'elle me payait avec un 50 cents rond en me disant: "Garde le change mon beau Michel." Je l'aimais beaucoup Florence !
À chaque semaine, il fallait passer au bureau du Nouvelliste sur la rue Saint-Joseph pour remettre l'argent de la collection dans la petite enveloppe brune détaillant le dépôt. Que nos abonnés aient payé ou non, il fallait remettre le montant dû pour chacun. Un jour qu'un de mes abonnés me devait quatre semaines d'arrérages, je tentai d'expliquer la chose au responsable du bureau qui, pour toute réponse, me dit: "Coupe-le !" Je pris donc mon courage à deux mains, et à dix ans il ne pèse pas lourd le courage, et je me présentai chez la dame pour lui dire: "Vous me devez quatre semaines, si vous ne me payez pas, je vais vous couper !" Et la dame de m'expliquer que son mari buvait toutes ses paies et que s'il apprenait que je le coupais, il ferait une sainte colère. J'acceptai donc qu'elle me paie à tempérament ce qu'elle me devait et je continuai à lui livrer son Nouvelliste chaque jour.
Quand j'ai commencé en 1962, le tarif était de 0,35$ par semaine et j'avais 69 abonnés. Je revenais de ma collection les poches lourdes de petit change.
Nous devions consigner dans un calepin brun, et sur la page de chaque abonné, le paiement reçu et celui-ci devait y apposer sa signature. La plupart me laissait un pourboire de 5 cents. Quelques-uns ne me laissaient rien. La plus généreuse était Florence Tremblay de l'avenue Brown. Elle qui travaillait dans un restaurant de la rue Saint-Louis près de la gare connaissait bien le mot pourboire et il n'était pas rare qu'elle me payait avec un 50 cents rond en me disant: "Garde le change mon beau Michel." Je l'aimais beaucoup Florence !
À chaque semaine, il fallait passer au bureau du Nouvelliste sur la rue Saint-Joseph pour remettre l'argent de la collection dans la petite enveloppe brune détaillant le dépôt. Que nos abonnés aient payé ou non, il fallait remettre le montant dû pour chacun. Un jour qu'un de mes abonnés me devait quatre semaines d'arrérages, je tentai d'expliquer la chose au responsable du bureau qui, pour toute réponse, me dit: "Coupe-le !" Je pris donc mon courage à deux mains, et à dix ans il ne pèse pas lourd le courage, et je me présentai chez la dame pour lui dire: "Vous me devez quatre semaines, si vous ne me payez pas, je vais vous couper !" Et la dame de m'expliquer que son mari buvait toutes ses paies et que s'il apprenait que je le coupais, il ferait une sainte colère. J'acceptai donc qu'elle me paie à tempérament ce qu'elle me devait et je continuai à lui livrer son Nouvelliste chaque jour.
J'adorais passer Le Nouvelliste, attendre à l'aube le camion d'un drôle de vert et le voir s'arrêter devant la maison de la rue Saint-Augustin. Je saluais le livreur qui, cigarette au bec, lançait les paquets de journaux sur la galerie. Je sortais alors mes pinces, coupait les broches qui enveloppaient les journaux avant de les déposer dans ma poche en coton beige où était inscrit en grosses lettres LE NOUVELLISTE et je partais le coeur joyeux vers mes premiers abonnés.
J'en rêve encore la nuit !
Mon sac de camelot du Nouvelliste L'original en coton et ce fameux "drôle de vert" |
Un autre excellent texte, l'angle est particulièrement intéressant...
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